Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Selon Laurent Alexandre, ChatGPT va nous rendre immortels*

« Si l’Homme-Dieu est né pendant les années 1940, le déploiement de ses pouvoirs démiurgiques s’est accéléré vers l’an 2000 grâce aux biotechnologies puis à l’IA. L’impossible, l’impensable et l’inconcevable sont devenus des réalités scientifiques ».

 

Délire science-fictionnel ou futur proche, la lecture du livre du docteur Laurent Alexandre fait l’effet d’un bon épisode de Black Mirror[1] : l’histoire semble folle, et en même temps si proche de la réalité, si probable. L’auteur est de plus loin d’être à cours d’argument. L’histoire de l’humanité et son développement paraissent exponentiels, surtout depuis un peu moins d’un siècle. L’IA fait des progrès de jour en jour, et le concept même d’empathie n’est pas étranger à chatGPT. À l’échelle de l’humanité, la découverte que la terre est ronde et tourne autour du soleil est aussi éloigné de nous qu’une miette de pain, ou peut-être juste d’une de ces molécules.

 

Intelligence Artificielle Supérieure, NBIC, « robolution » (Bruno Bonnell), médecine personnalisée, transhumanisme, post-humanisme, noosphère… Autant de termes qui font référence à l’IA et son développement exponentiel, défiant toutes les prédictions.

 

L’auteur propose une exploration vertigineuse des implications sociales, médicales et éthiques de l’intelligence artificielle et des technologies transhumanistes, en se basant sur la science, pour imaginer un monde où la mort serait un choix, et l’humain un Homo Deus.

 

L’ère des technologies NBIC et laccélération de lhistoire

L’auteur met en lumière l’explosion des technologies NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives), qui collaborent pour révolutionner le vivant. Grâce à ces avancées, la frontière entre soin et augmentation de l’humain se brouille, ouvrant la voie à une “médecine régénérative” et à la création d’organes complexes. Dans ce futur proche, le vieillissement pourrait être traité comme une simple pathologie.

La révolution technologique s’accompagne d’une multiplication des données médicales, rendant l’intelligence artificielle essentielle pour analyser cette masse d’informations. La médecine passe d’une logique réparatrice à une approche prédictive, préventive, personnalisée et participative, un concept résumé par le modèle “médecine 4P”. Par exemple, des outils comme Life2Vec, capables de prédire la mort avec une précision de 78 %, illustrent cette convergence entre génomique et puissance de calcul.

 

Une humanité à double vitesse : transhumanisme versus post-humanisme

Le livre pose une question fondamentale : devons-nous augmenter l’humain ou dépasser son essence ? Le transhumanisme cherche à améliorer l’humain, tandis que le post-humanisme envisage un avenir où l’intelligence biologique serait marginalisée, voire dépassée. Sam Altman, créateur de ChatGPT, anticipe qu’en 2038, l’intelligence humaine pourrait ne représenter que 0,1 % de l’intelligence terrestre. Le reste, ce serait de l’intelligence artificielle.

L’auteur évoque également la “robolution”, où l’intégration des technologies dans nos vies (implants cérébraux, organes artificiels, etc.) atteint des sommets. Cette transition, selon lui, exacerbera les inégalités. La Silicon Valley, avec ses milliardaires comme Elon Musk ou Jeff Bezos, investit massivement dans cette quête d’immortalité et d’augmentation humaine, non sans créer un fossé grandissant entre les élites et les populations laissées-pour-compte. Pourtant, le transhumanisme se voit par certains comme un nouvel humanisme, une continuité des Lumières, où l’IA apporterait un monde plus égalitaire, réduisant les inégalités d’intelligence par exemple. Personnellement, je pense que cette dernière idée est utopique, la course à l’IA semblant pour le moment être un concours d’ego et une façon pour les plus riches de remédier à leur propre fin.

 

La mort, une fatalité dépassée ?

« L’idée que la mort est un problème à résoudre et non une réalité incontournable de la nature ou de la volonté divine va s’imposer » (p.14)

Laurent Alexandre considère, par le prisme des avancées technologiques actuelles et à venir, la mort comme un obstacle que l’humanité pourrait surmonter. L’espérance de vie a déjà connu une progression spectaculaire, et l’auteur imagine un futur où la mort deviendrait un choix. Pourtant, il souligne aussi que cette éradication de la mort soulève des enjeux biologiques et philosophiques. La mort sculpte le vivant et favorise l’évolution des espèces. La suppression de ce mécanisme naturel pourrait entraîner des conséquences imprévues sur notre adaptation et notre diversité.

La critique centrale réside dans l’impact de ces technologies sur la nature humaine elle-même. À terme, la quête de perfection pourrait conduire à des dérives eugénistes, où la sélection génétique fabriquerait des “bébés parfaits”. Entre élimination des maladies graves et augmentation des capacités humaines, la frontière entre éthique et nécessité devient floue.

 

Un monde dominé par lIA : espoir ou dystopie ?

Si les promesses de l’IA sont nombreuses (soigner, éduquer, prédire), l’auteur avertit que cette technologie pourrait également marginaliser l’humanité. Les IA, plus rapides, plus puissantes, risquent de dépasser la pensée humaine, créant une noosphère où les machines structurent la connaissance mondiale. Ce concept de « noosphère », inspiré de Teilhard de Chardin, transforme Internet en une immense conscience planétaire, mais également en un espace de surveillance, de désinformation et de manipulation.

L’auteur se demande : qui possédera le pouvoir dans cette noosphère ? Les géants technologiques, comme Google ou OpenAI, risquent de concentrer un pouvoir immense, remettant en cause les structures démocratiques actuelles. Pour éviter une dictature technologique, Laurent Alexandre appelle à une régulation urgente des IA, soulignant l’irresponsabilité des politiques à laisser à quelques milliardaires le sort de notre monde.

 

Immortalité et spiritualité : les défis du post-humanisme

Dans un monde sans mort, quel rôle pour la religion et les valeurs spirituelles ? L’auteur explore la possibilité de nouvelles formes de croyances adaptées à une humanité 2.0, où le sens de la vie serait redéfini par la colonisation de l’espace ou l’exploration numérique de l’univers. Si à l’échelle de vie d’un homme moyen aujourd’hui l’exploration semble infinie aux vues des distances à traverser, l’auteur pense que les IA pourraient remplir ce rôle.

 

Pour conclure, l’essai de Laurent Alexandre captive autant qu’il inquiète. En décrivant un avenir où la technologie repousse sans cesse les limites biologiques et éthiques, l’auteur pose des questions fondamentales : quel type de société voulons-nous ? Si la science-fiction rejoint de plus en plus la réalité, il est essentiel, selon lui, de ne pas laisser cette révolution s’opérer sans un débat collectif. La maîtrise de l’IA et des technologies NBIC pourrait être notre plus grand défi, mais aussi notre plus grande chance de réinventer l’humanité.

*A propos du livre de Laurent Alexandre, ChatGPT va nous rendre immortel, éditions JC Lattès

[1] Série américaine produite par Netflix, et où chaque épisode traite du rapport à la technologie dans un futur dystopique.

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Assistante et coordinatrice d'ADAPes / Illustratrice, graphiste et artiste 3D en freelance

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