Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

François Bayrou… et l’âme juive

Généralement, ce genre de manifestation[1], éminemment politique, est convenu. Les orateurs préparés à l’avance, illustrent le registre prescrit et le devoir accompli, chacun rentre chez soi. Cette fois-ci, les choses ont évolué différemment. Et cette distinction est due au discours de Monsieur François Bayrou. C’est volontairement que je n’évoque pas ses fonctions gouvernementales éminentes car lui-même a souhaité les passer sous silence. Il a parlé en simple être humain, attentif à d’autres êtres humains.

 

Ce beau discours que j’ai lu et relu plusieurs fois fera date, car par sa teneur il marquera les relations entre la France et l’histoire du judaïsme. François Bayrou a choisi de parler de l’âme juive ; sujet inépuisable, et il a parlé, en suivant un cheminement qui lui est propre er en laissant parler son cœur. J’ai senti qu’il tentait de cerner l’essence de cette âme juive qui a livré tous les combats les plus incertains à la seule fin de survivre. Il a montré que l’on n’a pas besoin d’être né juif pour être doté d’une sensibilité juive authentique… Même si l’histoire a évolué différemment, le judaïsme était destiné au plus grand nombre. Mais les circonstances historiques en ont décidé autrement… Pour survivre, il a fallu s’enfermer, au moins temporairement.

 

Quand vous vous approchez de l’âme d’un peuple, l’âme allemande ou l’âme juive, vos propos sont nécessairement frappés du sceau de  l’authenticité. François Bayrou n’a pratiquement pas fait d’allusion à la situation politique dans cette région du monde qui n’a jamais connu le repos, même si le monothéisme y a fait ses premiers pas. Cette âme juive qui a connu les tournements les plus horribles a veillé à rester elle-même sans rejeter les autres êtres humains, adeptes d’autres cultures et d’autres philosophies. On n’oublie pas que l’amour même de l’ennemi prescrit par l’Évangile, vient d’un corpus juif, de Jésus.

 

La façon dont François Bayrou en a parlé illustre visiblement cette aspiration à l’universalisme, si bien incarné par l’humanisme des vieux prophètes hébreux, animés d’une vision et porteurs d’un projet qui ne se limitait pas aux quatre coudées de la seule tradition juive. De tels idéaux ne s’en accommoderaient pas.

 

On a coutume de rappeler que la littérature biblique, si injustement tenue à l’écart de notre enseignement primaire et secondaire, a fait à l’humanité l’apostolat du monothéisme éthique, du messianisme et de l’individualisme religieux… On l’oublie parfois mais sans cet   humus   et ce sol nourricier, nos sociétés ne seraient pas ce qu’elles sont devenues. Même le continent européen qui est d’abord une culture, doit à cet apport vivifiant l’hégémonie dont il a bénéficié et même parfois abusé, au cours des siècles.

 

Levinas l’a bien dit : l’Europe, c’est la Bible et les Grecs… En effet, que serait Maimonide sans le legs intellectuel gréco-arabe ? Le christianisme, dans sa totalité, n’est-il pas d’origine juive ? Que serait la prière du Notre Père sans le Qaddish hébreu et araméen ?

 

N’y voyez, je vous prie, aucune tentative de syncrétisme, mais ce sont là des faits historiques.

 

Dans ce beau discours se projette aussi la volonté de mieux connaître ses origines, la civilisation et la culture qui nous ont faits ce que nous sommes : François Bayrou ne fait pas exception à la règle ; tout bon chrétien n’ignore pas qu’il est un rameau, une branche de l’arbre qui plonge ses racines au plus profond de la terre.

 

Cette âme juive qui continue d’exister en dépit de toutes les persécutions, et même de l’extermination programmée, peut encore diffuser son message de paix et de fraternité parmi les hommes. Je reviens sur ce que disais plus haut : l’âme juive peut élire domicile dans d’autres cœurs, d’autre esprits que les nôtres. Elle a irrigué d’autres croyances et d’autres traditions.

 

Quand je relis les écrits de Franz Rosenzweig (mort en 1929), j’essaie de comprendre ce qu’il ressentait en constatant les graves divergences judéo-chrétiennes. On ne se rend pas bien compte de la férocité des attaques contre les enfants d’Israël dans l’Allemagne wilhelmienne. Ce dix-neuvième siècle était plein de promesses et pourtant il s’est révélé délétère…

 

Sans changer de religion, le philosophe, auteur de l’Etoile de la rédemption, a dit toute son émotion en constatant les ravages du zèle convertisseur de quelques milieux chrétiens. Rosenzweig jugeait que le judaïsme était arrivé à bon port alors que son voisin chrétien était perpétuellement en mouvement… Dieu, écrivit-il dans un magnifique amour d’autrui, a besoin des deux ouvriers : le juif mais aussi le chrétien.

 

L’âme juive continue d’animer la tradition d’Israël…

[1] Le diner du CRIF s’est tenu le 3 juillet en présence du Premier ministre, François Bayrou.

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philosophe, exégète et historien français

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