“Nous assistons à une nouvelle vague d’antisémitisme […]. Je tiens à vous dire à quel point cela me fait honte, […], en tant qu’enfant de la génération d’après-guerre qui a grandi avec le « plus jamais ça » comme mission, comme devoir, comme promesse.”

Discours prononcé par Friedrich Merz

“Il y a exactement 94 ans, le 5 septembre 1931, l’inauguration de la synagogue de la Reichenbachstraße fut un événement festif – une inauguration qui, comme nous le savons aujourd’hui, fut la première du genre. « Une cérémonie solennelle », pouvait-on lire dans le journal de la communauté israélite bavaroise, « à laquelle toute la communauté juive de Munich a participé, sans distinction d’orientation ».
Mesdames et Messieurs, nous devons supposer que ce fut en même temps – malgré tout – un jour d’inquiétude et de crainte croissantes pour les participants à la cérémonie, que les membres de la communauté rassemblée se sont demandé si et combien de temps encore les Juifs pourraient vivre en sécurité en Allemagne. En effet, quelques jours plus tard, le 12 septembre 1931, le soir du Nouvel An juif, de graves émeutes antisémites auront lieu sur le Kurfürstendamm à Berlin, perpétrées par des centaines de membres de la SA. Ces émeutes n’étaient pas un cas isolé ; les violences de rue contre les Juifs et les attaques contre les magasins juifs se multipliaient depuis 1930. L’antisémitisme gagnait du terrain dans la société allemande.
C’est ainsi que « Das Jüdische Echo » qualifia l’inauguration de la synagogue de la Reichenbachstraße en 1931 d’« expression d’une volonté de vivre et d’une force vitale juives qui, même dans les conditions les plus défavorables […], créent les conditions nécessaires à la vie juive ». Pendant sept ans, sept courtes années, la vie juive, le culte juif et la prière juive ont existé dans cette synagogue, dans des conditions de plus en plus difficiles, jusqu’à ce qu’en 1938, la synagogue soit profanée, vandalisée et saccagée par une foule déchaînée. Elle n’a pas été incendiée uniquement parce que l’on craignait d’endommager les maisons environnantes, dites « non juives ».
Avec le recul, nous savons que les pogroms de novembre 1938 n’étaient que le prélude au crime contre l’humanité qu’est la Shoah, à la tentative d’extermination systématique, voire industrialisée, du peuple juif, un acte si monstrueux, si radicalement mauvais qu’il n’aurait tout simplement « pas dû se produire » parmi nous, les êtres humains, pour reprendre les mots de la grande penseuse juive allemande Hannah Arendt.
Chère Madame Salamander, vous avez grandi en tant que fille de survivants de la Shoah dans un camp de personnes déplacées près de Munich, comme vous l’avez mentionné dans votre discours. Vous avez écrit dans l’un de vos livres que, enfant, vous posiez sans cesse cette question : « Pourquoi personne n’a-t-il aidé les Juifs ? ». Sans vous accrocher à l’espoir d’une réponse positive, poursuivez-vous, sans vous accrocher à « l’attente naïve d’aide de l’enfant », « nous serions perdus en tant qu’êtres humains ».
Aujourd’hui encore, nous devons accepter l’horreur du fait que la grande majorité n’a pas aidé. Car c’est seulement ainsi que nous pouvons commencer à comprendre ce que cela signifie que, immédiatement après la guerre, des Juifs, des survivants, des enfants de survivants, aient malgré tout décidé de rester en Allemagne, à Munich, dans d’autres villes et communes allemandes, d’y retourner, voire de s’y réinstaller : dans le pays d’où était partie la Shoah.
Aujourd’hui, nous avons tendance à dire que c’est un miracle. Car cela dépasse nos critères habituels que cela ait été et soit encore possible : le retour de la vie juive en Allemagne. Mais bien sûr, ce n’était pas un miracle, c’était le résultat des décisions prises par des personnes d’origine juive qui ont dit « malgré tout », qui n’étaient pas prêtes à abandonner leur pays, mais plus encore, à nous abandonner tous en tant qu’êtres humains. Vous, Madame Salamander, et vous, Madame Knobloch, pouvez témoigner de l’engagement qu’il a fallu pour recréer des lieux et des espaces pour la vie juive en Allemagne.
Dès 1945, la communauté israélite de Munich a été refondée. En 1947, cette synagogue a été inaugurée une deuxième fois, comme nous l’avons entendu. Une fois de plus, l’inauguration s’est déroulée dans des conditions très difficiles. Dans la jeune République fédérale d’Allemagne, on passait largement sous silence le nazisme et ses crimes atroces. Pendant de longues années, on n’a pas abordé la question de sa propre culpabilité. Pire encore : il y avait peu d’empathie pour les victimes et l’antisémitisme persistait dans de nombreux esprits.
Aujourd’hui, 94 ans après la première inauguration, nous pouvons célébrer la troisième ouverture de la synagogue de la Reichenbachstraße. Elle n’a été rendue possible que grâce à l’engagement et au travail acharné, pour lesquels nous vous sommes tous extrêmement reconnaissants, Madame Salamander.
Vous l’avez dit : la synagogue de la Reichenbachstraße, telle que nous pouvons l’admirer aujourd’hui, restaurée dans toute sa splendeur, sa beauté et son langage architectural moderne d’origine, est l’une des rares synagogues de style Bauhaus qui existent en Europe. C’est un véritable monument artistique. Elle est déjà un lieu d’importance historique et artistique, un patrimoine national, car elle nous permet d’entrer en relation avec le judaïsme en Allemagne avant l’époque du national-socialisme et, par là même, avec les racines judéo-chrétiennes de la vie culturelle en Allemagne et dans toute l’Europe. Le Bauhaus est inconcevable sans ses artistes juifs, tout comme l’art, la philosophie, la littérature et la musique allemands et européens, avec toute leur richesse, sont inconcevables sans les traditions, la pensée et la théologie juives. À cet égard également, c’est pour nous tous un motif de joie et aussi un motif de grande confiance que d’être réunis ici aujourd’hui et de pouvoir constater ensemble que cette nouvelle ancienne synagogue est, une fois de plus, l’expression de la vitalité juive en Allemagne.
Dans le même temps, nous devons accepter le fait que vous, les Juifs de toute l’Allemagne, devez à nouveau célébrer ce jour de joie, la troisième inauguration de la synagogue, dans des conditions extrêmement difficiles. Des policiers se tiennent devant la synagogue – nous les avons tous croisés. Les offices religieux qui seront célébrés ici à partir d’aujourd’hui, les manifestations culturelles, se dérouleront sans exception sous protection policière. Dans toute l’Allemagne, la police est postée devant les jardins d’enfants, les écoles, les restaurants et les cafés juifs. L’antisémitisme n’a jamais disparu de la République fédérale ; beaucoup d’entre vous le savent par expérience.
La plaque commémorative située à quelques mètres de cet endroit nous le rappelle d’ailleurs. Elle porte les noms des cinq hommes et des deux femmes qui ont perdu la vie en 1970 lors de l’incendie criminel de la maison de retraite de la communauté israélite, qui se trouvait ici, dans le bâtiment d’en face. Deux d’entre eux étaient des survivants des camps de concentration. Madame Knobloch, vous connaissiez beaucoup des résidents de cette maison de retraite. Vous pouvez témoigner de l’horreur que cet attentat a provoquée à l’époque, non seulement, mais aussi et surtout dans les communautés juives. Depuis lors, depuis 1970, les institutions juives de toute l’Allemagne sont sous protection policière. Cela signifie qu’il existe toute une génération de Juifs en Allemagne qui ne connaissent la vie juive publique que sous le plus strict des dispositifs de sécurité.
Et pourtant, j’ai voulu croire, comme beaucoup en Allemagne, que la situation s’améliorerait peut-être un jour. Puis vint le 7 octobre 2023, le plus grand massacre de Juifs depuis la Shoah – un acte tout aussi monstrueux et barbare. Et – nous le regardons encore avec consternation – dans certaines rues allemandes, on a célébré cet événement. Mesdames et Messieurs, ce jour-là, il est devenu évident que, dans la politique et la société, nous avons trop longtemps fermé les yeux sur le fait qu’une partie considérable des personnes qui sont venues en Allemagne au cours des dernières décennies ont été socialisées dans des pays d’origine où l’antisémitisme est une véritable doctrine d’État et où la haine d’Israël est déjà enseignée aux enfants dans les écoles.
Depuis le 7 octobre, nous assistons – vous assistez – à une nouvelle vague d’antisémitisme, sous une forme ancienne et nouvelle, ouvertement et à peine dissimulée, en paroles et en actes, dans les médias sociaux, dans les universités, dans l’espace public. Je tiens à vous dire à quel point cela me fait honte, en tant que chancelier de la République fédérale d’Allemagne, mais aussi en tant qu’Allemand, en tant qu’enfant de la génération d’après-guerre qui a grandi avec le « plus jamais ça » comme mission, comme devoir, comme promesse.
Mesdames et Messieurs, je tiens à vous dire, au nom du gouvernement fédéral, que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que les Juifs puissent vivre, célébrer et étudier sans crainte dans toute l’Allemagne, afin qu’une génération d’enfants juifs puisse grandir ici et parler fièrement de leur judaïsme partout et à tout moment. Je voudrais dire à tous les citoyens de ce pays : il nous appartient à tous, plus que jamais, de donner vie à ce « plus jamais » comme notre devoir historique à tous.
(…)
Pour Hannah Arendt, la liberté dont nous disposons en tant qu’êtres humains se réalise dans notre capacité à prendre un nouveau départ à tout moment, à prendre l’initiative, à agir, à mettre en mouvement quelque chose de nouveau. C’est une grande chance pour la République fédérale d’Allemagne et pour la ville de Munich, Madame Salamander, que vous ayez toujours pris l’initiative, notamment pour la restauration de cette synagogue. Vous avez dit un jour que vous considériez comme votre devoir et celui de votre génération de « faire vivre la vitalité juive ». Salamander, d’avoir sans cesse pris des initiatives, la dernière en date étant la restauration de cette synagogue. Vous avez dit un jour que vous considériez comme votre mission et celle de votre génération de « poser de nouvelles fondations à la culture juive détruite avec les hommes », de redonner une place à la vie spirituelle juive en Allemagne. Vous y êtes parvenue de manière impressionnante en ce lieu.
Je souhaite vivement que la synagogue de la Reichenbachstraße devienne précisément cela : un lieu d’accueil pour la vie juive, pour la religiosité juive en Allemagne, qui rayonne sur toute la République fédérale. Je souhaite vivement que la synagogue de la Reichenbachstraße, que toutes les synagogues d’Allemagne, que les écoles et les jardins d’enfants juifs, que la vie juive dans son ensemble en Allemagne puissent un jour se passer à nouveau de protection policière. Nous ne devons pas nous habituer au fait que cela semble nécessaire depuis des décennies déjà.
C’est pourquoi, au nom de l’ensemble du gouvernement fédéral de la République fédérale d’Allemagne, je déclare la guerre à toute forme d’antisémitisme ancien et nouveau en Allemagne – sur le plan politique, bien sûr, mais aussi sur le plan pénal et par tous les moyens législatifs qui sont à notre disposition et qui devraient être nécessaires. Nous ne tolérerons pas l’antisémitisme, même sous le couvert de la prétendue liberté de l’art, de la culture et de la science.
Permettez-moi de conclure en disant ceci : nous vous devons – à vous, nos concitoyens juifs de toute l’Allemagne et, en ce jour, à la communauté israélite de Munich, ainsi qu’aux initiateurs et aux participants à la reconstruction de la synagogue de la Reichenbachstraße – cette promesse, tout simplement en remerciement pour le magnifique cadeau que vous nous faites à tous ici aujourd’hui à Munich avec la réouverture de ce lieu de culte.
Discours prononcé le 15 septembre 2025 dans la synagogue de Munich par le chancelier allemand Friedrich Merz.
Journaliste, directeur de la Revue Passages et de l’Association ADAPes, animateur de l’émission « Ces idées qui gouvernent le monde » sur LCP, président de Le Pont des Idées
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