Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Entre pouvoir et liberté, le cinéma polonais ne cesse de se renouveler

La 15ème édition du Festival du film polonais s’est déroulé dans un contexte particulier avec la guerre en Ukraine. Deux films du festival, « Chansons d’amour » (2021) par Tomasz Habowski et « Sur le globe d’argent » (1988) d’Andrzej Żuławski soulignent les contradictions entre le désir de pouvoir et celui de liberté.

Avec l’automne qui arrive, le Festival du cinéma polonais Kinopolska a été une opportunité de découvrir les dernières créations par de jeunes réalisateurs et réalisatrices, ainsi que les classiques intemporels. En France, en Pologne et dans le reste de l’Europe, la vie continue lorsque la guerre fait rage en Ukraine. Les Ukrainiens se battent contre la barbarie de leur voisin russe et c’est leur survie et leur indépendance qui sont en jeu. Les films de Kinopolska soulignent ce désir universel de liberté avec des protagonistes qui font face aux obstacles et qui doivent faire des concessions dans un monde où le pouvoir et la liberté vont rarement ensemble.

Chansons d’amour par Tomasz Habowski pourrait être le concurrent polonais pour la prochaine cérémonie des Oscars en 2023. Ambitieux, musicale et poétique par sa composition en noir et blanc, cette radiographie de la jeunesse polonaise s’attaque à une pléthore de maux de l’époque: les difficultés à tracer une carrière, l’incompréhension entre les générations et le manque d’unité sociale.

Le personnage principal, incarné par Robert, est un trentenaire qui vit dans un appartement à Varsovie (acheté par son père) où il joue avec un ensemble instrumental musical (achetés par son père). Il rêve de publier un album mais il peine à sortir de l’ombre immense de son père, un comédien et un monstre sacré qui prend autant de plaisir à citer le poète Stanisław Wyspiański qu’à rabaisser son fils pendant des réunions familiales.

C’est lors d’une fête dans un restaurant en l’honneur de son père que Robert, à la recherche d’oxygène, découvre Alicja, une serveuse du restaurant qui chante doucement en trimballant des sacs poubelle. Interprétée par Justyna Swies, une star de la scène indie en Pologne (The Dumplings), elle a une voix céleste qui donne des frissons. Robert est immédiatement séduit. Sur son insistance, les deux se rencontrent, ils enregistrent quelques chansons ensemble et tombent amoureux. Mais les fractures dans la nouvelle relation apparaissent vite : Il vient de la capitale, de la classe privilégiée et pense que tout lui est dû ; elle vient des provinces, de la classe ouvrière et refuse d’avoir la prétention « d’être une grande chanteuse ». Robert rêve d’un duo musical, de la gloire, de la réussite artistique quand Alicja veut simplement gagner sa vie.

Habowski, 34 ans, voulait que son film soit « l’histoire d’une rébellion contre les privilèges, mais aussi d’un privilège qu’est la rébellion ». Lorsque le couple déjeune ensemble dans un restaurant avec des nappes blanches et des verres en cristal, dans le genre d’endroit où les gens comme Alicja servent les gens comme Robert, il lui demande s’il elle n’a pas d’autre ambition à parte gagner de l’argent. Elle rétorque: « et tu crois que tes ambitions vont payer ce repas ? » C’est la raclée verbale dont on rêve pour Robert, qui dépendra jusqu’à la fin sur son père pour lui ouvrir des portes professionnelles et pour le dépanner financièrement. Quant à Alicja, elle s’épanouira comme une chanteuse- mais sans les extravagances de Robert et selon ses propres termes.

Żuławski, toujours…

Sur le globe d’argent (1988) d’Andrzej Żuławski incarne aussi l’histoire d’un artiste qui voulait arriver au sommet de son art. Après l’immense succès du film L’important c’est d’aimer (1975), tourné en France, Żuławski a pu filmer l’adaptation de La Trilogie de la Lune, un œuvre de la science-fiction de son grand-oncle Jerzy Żuławski, située dans la Pologne communiste.

Żuławski, revenu de son exil en l’occident, a commencé à tourner avec des moyens considérables : des centaines de figurants, des costumes et décors fantastiques, des acteurs de grande envergure et des scènes filmées en Pologne, en Crimée, dans le désert de Gobi et dans les montagnes de Caucase. Neuf jours avant la fin du tournage, les autorités polonaises ont ordonné l’annulation du film pour des raisons de censure. C’était seulement dix ans plus tard que le réalisateur a pu achever la version finale de ce qu’il a appelé son œuvre « assassinée ».

Le film s’ouvre avec un cavalier (un homme-corbeau composé de plumes et d’éclats de fer) sur un cheval qui galope à travers un paysage enneigé et montagneux qui évoque un western. Le cavalier arrive dans un bâtiment utilitaire qui ressemble à une usine où deux astronautes qui l’attendent. Le cavalier délivre son message et il est compensé par l’un de deux astronautes par une drogue qu’il avale avec voracité. La motivation des astronautes reste énigmatique mais l’on comprend qu’ils ont vécu sur cette nouvelle planète depuis longtemps.

Le narratif du film est fragmenté et la chronologie couvre plusieurs générations. Żuławski nous mène en arrière avec la découverte d’une nouvelle planète par un groupe d’astronautes. Ils colonisent la planète et reproduisent, assurent l’avenir de leur espèce dans ce nouvel environnement hostile et étrange. L’action se déroule sur la côte sauvage d’une mer et dans des caves. Des générations futures mènent des combats contre des créatures qui ressemblent à des oiseaux mais ils s’accouplent avec eux aussi, créant une nouvelle espèce et entraînent des nouvelles guerres.

C’est probablement le conflit des Sélénites contre les Szerns que les autorités polonaises ont perçu comme une allégorie à peine voilée de la lutte du peuple polonais envers le totalitarisme. « Ils ont manqué la foi », explique simplement un Szern à un Sélénite, lorsqu’il se promènent sur la plage avec des douzaines d’individus empalés au-dessous de leurs têtes. Les citoyens harcelés, exilés, emprisonnés, et torturés pendant les années du communisme en Pologne auraient facilement pu être accusés de la même chose : un manque de foi pour l’idéologie dominante du jour. 

 

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Journaliste, revue Passages, collabore au Télégramme et à France24.

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