Former pour réussir
L’un des objectifs principaux de la filière nucléaire est de former bien et en très grand nombre, dans une multitude de métiers scientifiques et techniques. Autant dire que la question des moyens pour le renouveau du nucléaire en France et en Europe, bien plus qu’un seul projet industriel, impose une préparation et une planification, réfléchies collectivement entre tous les acteurs (pouvoirs publics et industriels). Car si la formation ne revient pas au centre de l’industrie et de la société, aucun projet industriel quel qu’en soit l’ampleur n’aura les moyens de son ambition. Beaucoup d’initiatives sont déjà initiées. Il convient maintenant qu’elles soient reliées et cadrées par les pouvoirs publics, en collaboration avec l’industrie.
Les trois acteurs principaux, sans qui aucun renouveau de la filière nucléaire ne sera possible sont les jeunes, les industriels de la filière et les pouvoirs publics.
Le message unique à envoyer vers les jeunes est d’embrasser avec enthousiasme et passion des études scientifiques et techniques. Elles apportent satisfaction, richesse personnelle, permettent de participer aux enjeux économiques et sociétaux de notre planète.
Aussi les actions d’attractivité des carrières de la filière sont-elles centrales et doivent être soutenues financièrement à la hauteur du défi. Le constat accablant de la désaffection des jeunes pour les filières scientifiques et techniques est le talon d’Achille de la faisabilité du renouveau du nucléaire. Le problème de l’absence des femmes est catastrophique et méritera un plan d’action dédié. Personne ne peut se réjouir d’une augmentation de la part des femmes dans les écoles d’ingénieurs, tellement anecdotique, de seulement 2,4 points en 10 ans.
Pourtant les messages positifs ne manquent pas. La filière nucléaire est soucieuse de la planète, dynamique, inclusive, a pour but la production d’un bien public. Les métiers sont non délocalisables et à haute valeur ajoutée. Elle donne des perspectives : demain l’industrie de la fission et des réacteurs à eau deviendra l’industrie de la fusion et des nouvelles filières comme les HTR, les RNR ou les sels fondus.
L’industrie doit impérativement diversifier ses recrutements et augmenter ses actions de collaboration avec les pouvoirs publics en charge de la formation. Des ministères ont mis en place un grand nombre de dispositifs, pour un rapprochement de l’École et de l’entreprise. Ils s’adressent aussi bien aux élèves, qu’aux enseignants. Il appartient à la filière de s’en emparer. Par exemple le dispositif Cefpep[1], permet aux enseignants d’aller dans les entreprises pratiquer les gestes techniques et découvrir les dernières innovations.
Mais le partenariat École-Filière nucléaire peut être encore renforcé.
- Il faut remettre en place des Écoles des métiers comme à l’époque de Gurcy, gérées par la filière et les pouvoirs publics, mutualisées entre toutes les entreprises et les formations initiales. Les caisses de l’époque, véritables outils de formation allant vers les élèves, deviennent les dispositifs numériques de formation comme les travaux pratiques en réalité virtuelle.
- Il faut permettre aux anciens de transmettre leur expérience aux plus jeunes. Il est nécessaire d’institutionnaliser ce mode de transmission, dont la formation par l’apprentissage est un exemple vertueux. Cela fait partie de ce que l’industrie appelle le « knowledge management ». Il fait partie des modes de transmission des savoirs d’expérience en sciences de l’éducation.
- Mettre en place une stratégie globale de collaboration forte avec la recherche. La filière nucléaire possède une R&D absolument unique. Pour autant cela n’est pas suffisant. La recherche d’aujourd’hui participera aux solutions industrielles de demain. La filière nucléaire est la mieux placée pour le savoir, elle qui s’est développée sur la fission nucléaire. La collaboration entre la recherche fondamentale et celle des grandes entreprises doit être renforcée, en permettant ainsi la formation par la recherche.
Les signaux venant de la filière nucléaire sont encourageants. En premier lieu, le contrat stratégique de filière, signé entre l’État et les industriels, dont l’axe n°1 est : « Garantir dans la durée les emplois, compétences et formations ». La création du Gifen et de l’Université des Métiers du Nucléaire, le plan Excell, l’EDEC, le projet MATCH sont des initiatives récentes qui ont pris en compte la problématique du renouvellement des compétences.
Enfin les pouvoirs publics doivent s’emparer sans plus attendre de la planification à long terme du système éducatif et de formation (publique et privée) dans son ensemble. Une idée pourrait être de créer une structure nationale d’ingénierie de formation, dont le pilotage serait partagé avec la filière nucléaire, pour une vision systémique de ses besoins. Elle aurait en charge la mise en place d’une stratégie de conception des contenus des formations. Trop souvent est utilisée la notion de compétences quand il faudrait parler de capacité. Trop souvent le sachant est confondu avec le formateur. Par exemple, les ingénieurs sont des sachants de leur expertise, mais ils ne sont pas des sachants de la formation à leur expertise. Ils peuvent et doivent participer à la formation et à sa création, sans être les seuls acteurs. Les définitions de compétences, capacités et contenus sont extrêmement précises en sciences de l’éducation. Il est primordial de les définir pour les processus industriels nucléaires afin d’établir un référentiel des compétences. Cela permettra d’en finir avec l’éternelle remarque que les formations ne correspondent pas aux besoins industriels.
La sureté nucléaire, spécificité de la filière ne doit pas être oubliée. Elle doit être enseignée partout et à tous les niveaux de qualification. Elle garantira une réussite exemplaire des projets futurs.
La réussite du renouveau du nucléaire en France et en Europe est possible, malgré les immenses défis. Mais rien ne pourra être fait sans des femmes et des hommes bien formés. ♦
[1] Centre d’études et de formation en partenariat avec les entreprises et les professions
*Enseignante-chercheuse. Responsable pédagogique des enseignements en sciences et technologies nucléaires du CNAM. Communication lors du colloque : Le nucléaire, une chance pour l’Europe, qui s’est tenu au Palais du Luxembourg à Paris le 23 janvier 2023.
Docteure en physique nucléaire, maitresse de conférences au Cnam en sciences et technologies
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Emmanuelle Galichethttps://lepontdesidees.fr/author/egalichet/
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