Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Exploitation du gaz de schiste en Algérie 

Abderrahmane Mebtoul

Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert international, ancien directeur des études au ministère de l’Énergie/Sonatrach

Privilégier le dialogue

Au préalable je voudrais dénoncer certains propos d’anti nationalistes que certains voudraient faire porter aux populations du Sud. Ayant vécu durant les années 1972/1973 en tant qu’officier d’administration pour la route de l’unité africaine à El Goléa et In Salah, je peux affirmer que les populations du Sud tiennent à l’unité nationale et qu’il faut savoir uniquement dialoguer avec ces populations paisibles. L’option du gaz de schiste a été introduite dans la nouvelle loi des hydrocarbures mais avec des garde-fous. Le problème stratégique de l’Algérie est d’éviter les débats stériles. Cette option est une opportunité face à l’épuisement des réserves – l’énergie étant au cœur de la sécurité nationale – mais doit passer par l’évaluation des risques et la formation, ce qui renvoie globalement à la gouvernance.  Concernant ce dossier, l’Agence américaine sur l’Énergie a estimé que le monde aurait environ 207 billions de mètres cubes répartis comme suit : la Chine 32, l’Argentine 23, l’Algérie 20, les USA 19, le Canada 16, le Mexique 15, l’Australie 12, l’Afrique du Sud 11, la Russie 8 et le Brésil 7 billions de mètres cubes. Les gisements de gaz de schiste en Algérie sont situés essentiellement dans les bassins de Mouydir, Ahnet, Berkine-Ghadames, Timimoun, Reggane et Tindouf. Est-ce que ces données sont faibles pour l’Algérie ?  A la suite de faux débats, le dossier élaboré sous ma direction, de l’avis de la majorité des experts, l’énergie étant au cœur de la sécurité nationale, c’est une opportunité pour l’Algérie, sous réserve de la protection de l’environnement et des nappes phréatiques d’eau du Sud. La majorité des experts, notant que ce dossier sensible nécessite une formation pointue, une bonne communication en direction de la société. Pour éviter de perturber la gestion de Sonatrach, société commerciale stratégique, il a été préconisé que ses dirigeants évitent de s’exposer aux débats, devant laisser au ministre, seul habilité politiquement, à exposer ses arguments et aux experts de l’énergie et non aux généralistes qui ne connaissent pas ce dossier complexe et en associant la société civile… Les experts ont tenu à rappeler que le problème central est de définir le futur modèle de consommation énergétique allant vers un mix énergétique ; ne devant pas privilégier une énergie aux dépens d’autres.

Neuf précisions sur le gaz de schiste s’imposent

Premièrement la fracturation est obtenue par l’injection d’eau à haute pression (environ 300 bars à 2500/3000 mètres) contenant des additifs afin de rendre plus efficace la fracturation dont du sable de granulométrie adaptée, des biocides, des lubrifiants et des détergents afin d’augmenter la désorption du gaz. Deuxièmement la rentabilité du gaz de schiste implique de la comparer à la structure des prix actuels au niveau international, prix très volatil ayant fluctué entre janvier 2023 et février 2024 entre 28 et 50 dollars le mégawattheure  expliquant pour l’instant la préférence des contrats à moyen et long terme, ne pouvant pas parler d’un marché de gaz comme celui du pétrole (marché segmenté géographiquement)  les canalisations représentant en 2023 environ 65% de la commercialisation, mondiale, le GNL donnant plus d’autonomie dont le prix est supérieur de 2 à 3 dollars supérieur au GN  allant vers 50% horizon 2030. Tenant compte du cout du transport, devant contourner toute la corniche de l’Afrique pour arriver à l’Asie (l’Iran, le Qatar et la Russie ayant un avantage comparatif, le marché concurrentiel pour l’Algérie étant l’Europe et l’Afrique. Troisièmement il faut savoir d’abord que le gaz de schiste est concurrencé par d’autres énergies substituables et que les normes internationales donnent un coefficient de récupération moyen de 15/20% et exceptionnellement 30%, pouvant découvrir des milliers de gisements mais non rentables financièrement, les réserves se calculent selon le couple prix international des énergies et coût. Quatrièmement Il faut perforer des centaines de puits pour avoir 1 à 2 milliards de mètres cubes gazeux par an, plus de 1000 puits pour dépasser plusieurs dizaines de milliards de mètres cubes gazeux, chaque puit ayant un volume de production spécifique. Cinquièmement la durée de vie d’un puit ne dépasse pas cinq années, devant se déplacer vers d’autres sites assistant à un perforage sur un espace déterminé comme un morceau de gruyère. Sixièmement pour s’aligner sur le prix de cession actuel, devant tenir compte de la profondeur pour la technique traditionnelle de la fracturation hydraulique (le coût n’est pas le même pour 600 mètres ou 2000/3000 mètres supposant le bétonnage), le coût du forage du gaz non conventionnel d’un puits devrait être moins de 5/7 millions de dollars pour être rentable, alors que selon les experts, il donnerait dans la situation actuelle 18/20 millions de dollars par puits. Septièmement L’exploitation de ce gaz implique de prendre en compte que cela nécessite une forte consommation d’eau douce, et en cas d’eau saumâtre, il faut des unités de dessalement extrêmement coûteuses, autant que les techniques de recyclage de l’eau. Huitièmement prévoir les effets nocifs sur l’environnement, (émission de gaz à effet de serre), la fracturation des roches pouvant conduire à un déséquilibre spatial et écologique. Et en cas de non maîtrise technologique, elle peut infecter les nappes phréatiques au Sud, l’eau devenant impropre à la consommation avec des risques de maladies comme le cancer. Neuvièmement peu de pays dont les USA maîtrisent, encore imparfaitement, cette technologie de fracturation hydraulique. Un co-partenariat incluant des clauses restrictives avec d’importantes pénalités en cas de non-respect de l’environnement et la formation des Algériens pour tout opérateur étranger.

D’autres techniques en cours protégeant l’environnement et économisant l’eau et les produits chimiques

Aujourd’hui, pour récupérer le gaz de schiste, la technique utilisée est la fracturation hydraulique, consistant à injecter un fluide consistant d’environ 90% d’eau, 8 à 9,5% de « proppants » (sable ou billes de céramique) et 0,5 à 2% d’additifs chimiques – sous très haute pression. Au niveau tant de la communauté scientifique que des opérateurs, l’objectif premier est d’améliorer la fracturation hydraulique. Les recherches s’orientant sur la réduction de la consommation d’eau, le traitement des eaux de surface, l’empreinte au sol, ainsi que la gestion des risques sismiques induits. Concernant le problème de l’eau qui constitue l’enjeu géostratégique fondamental du XXIème siècle (l’or bleu), selon les experts, trois types de fluides peuvent être utilisés à la place de l’eau : le gaz de pétrole liquéfié (GPL), essentiellement du propane, les mousses (foams) d’azote (N2) ou de dioxyde de carbone (CO2) et l’azote ou le dioxyde de carbone liquides. L’utilisation des gaz liquides permet de se passer complètement ou en grande partie d’eau et d’additifs. Pour les mousses, par exemple la réduction est de 80 % du volume d’eau nécessaire étant gélifiées à l’aide de dérivés de la gomme de Guar. Ainsi sans être exhaustif, du fait de larges mouvements écologiques à travers le monde, des alternatives à la fracturation hydraulique sont encore à un stade expérimental et demandent à être plus largement testées, l’objectif étant de minimiser l’impact environnemental de la fracturation hydraulique tant pour les volumes traités que pour la qualité des eaux et de diminuer significativement la consommation d’eau et/ou d’augmenter la production de gaz.  La fracturation au gel de propane est en cours d’utilisation sur environ 400 puits au Canada et aux États-Unis (plus de 1.000 fracturations déjà effectuées). L’eau pourrait aussi être remplacée par du propane pur (non-inflammable), ce qui permettrait d’éliminer l’utilisation de produits chimiques. Les premiers puits utilisant cette méthode ont été fracturés avec succès en décembre 2012 aux États-Unis. Nous avons  la  fracturation exothermique non-hydraulique (ou fracturation sèche) qui injecte de l’hélium liquide, des oxydes de métaux et des pierres ponce dans le puits, la  fracturation à gaz pur peu nocive pour l’environnement  surtout utilisée dans des formations de roche qui sont sensibles à l’eau à maximum 1500 m de profondeur ; la fracturation pneumatique qui  injecte de l’air comprimé dans la roche-mère pour la désintégrer par ondes de chocs, n’utilisant pas  d’eau,  remplacée par l’air mais utilisant certains produits chimiques en nombre restreints ; enfin la stimulation par arc électrique (ou la fracturation hydroélectrique) qui  libère le gaz en provoquant des microfissures dans la roche par ondes acoustiques, utilisant selon les experts pas ou  très peu d’ eau, ni proppants ou produits chimiques, mais nécessitant beaucoup  d’électricité.   Selon   certains experts, à l’horizon 2025/2030/2035, l’hydrogène est une piste sérieuse enrichissant le « mix » ou le bouquet énergétique mondial, pour le transport et le stockage des énergies intermittentes et pourrait aussi permettre de produire directement de l’énergie tout en protégeant l’environnement. L’hydrogène en brûlant dans l’air n’émettant aucun polluant et ne produisant que de l’eau. Des études internationales à partir de tests expérimentaux montre qu’un (1) kg d’hydrogène libère environ trois fois plus d’énergie qu’un (1) kg d’essence, mais que pour produire autant d’énergie qu’un litre d’essence, il faut 4,6 litres d’hydrogène comprimé à 700 bars (700 fois la pression atmosphérique). Cette étude rappelle également qu’il suffit d’un kilo de d’hydrogène (H2), stocké sous pression, (représentant un coût d’environ huit euros) pour effectuer une centaine de kilomètres dans un véhicule équipé d’une pile à combustible. Toujours selon ce rapport, à terme, avec le développement conjoint des véhicules à hydrogène et des piles à combustible destinées aux bâtiments et logements, on peut tout à fait imaginer le développement d’un réseau de production et de distribution transversale et décentralisée d’énergie. Dans ce schéma, organisé à partir de réseaux intelligents « en grille », les immeubles de bureaux et les habitations produisaient ou stockaient leur chaleur et leur électricité sous forme d’hydrogène et pourraient également alimenter en partie le parc grandissant de véhicules à hydrogène. Mais ce concept fonctionnerait également dans l’autre sens et les voitures à hydrogène, lorsqu’elles ne seraient pas en circulation, deviendraient autant de microcentrales de production d’énergie qui pourraient à leur tour contribuer à l’alimentation électrique des bâtiments et logements.

Le gaz de schiste décarboné doit s’insérer au sein de la transition énergétique

Des techniques sont disponibles pour décarbonner le gaz de schiste et protéger l’environnement afin qu’il puisse s’insérer dans le cadre de la transition énergétique. Si l’humanité est passée du charbon aux hydrocarbures ce n’est pas parce qu’il n’y avait pas de charbon dont les réserves mondiales dépassent 200 ans contre 40/50 ans pour le pétrole/gaz traditionnel mais que grâce à la révolution technologique la rentabilité économique était meilleure et on revient au fondement du développement, la ressource humaine.  La transition pouvant être définie comme le passage d’une civilisation humaine construite sur une énergie essentiellement fossile, polluante, abondante, et peu onéreuse, à une civilisation où l’énergie est renouvelable, rare, chère, et moins polluante ayant pour objectif le remplacement à terme des énergies de stock (pétrole, charbon, gaz, uranium) par les énergies de flux (éolien, solaire, biomasse). Le développement actuel de l’extraction d’énergies fossiles dites « non conventionnelles », telles que les gaz de schistes ou le pétrole off-shore profond, peuvent repousser le pic, sans pour autant modifier le caractère épuisable de ces ressources. D’une manière générale, l’énergie est au cœur de la souveraineté des Etats et de leurs politiques de sécurité allant parfois à provoquer des guerres. Les avancées techniques (Gnl-gaz naturel liquéfié, gaz de schiste, amélioration des performances d’exploitation de gisements d’hydrocarbures) couplées aux dynamiques économiques modifient les rapports de force à l’échelle mondiale et affectent également les recompositions politiques à l’intérieur des Etats comme à l’échelle des espaces régionaux. Aussi s’agit-il de cerner le concept de transition énergétique impliquant de bien répondre à cinq questions essentielles. Premièrement, si l’humanité généralisait   le mode de consommation énergétique des pays riches, il nous faudrait les ressources de 4 ou 5 planètes d’où l’urgence d’une adaptation pour un nouveau modèle de consommation. Deuxièmement, la transition énergétique renvoie à d’autres sujets que techniques, posant la problématique sociétale, autant que la fiscalité énergétique influant sur le choix des allocations des ressources et ayant un impact sur la répartition du revenu par catégories socio-professionnelles. Il ne suffit pas de faire une loi car le déterminant c’est le socle social. Cela pose la problématique d’un nouveau modèle de croissance : tous les secteurs économiques, tous les ménages sont concernés : transport, BTPH ; industries, agriculture. Les choix techniques d’aujourd’hui engagent la société sur le long terme. Il ne faut pas être pessimiste. Nous devons faire confiance au génie humain. Troisièmement, la transition énergétique doit être fondée sur deux principes : d’abord, sur la sobriété énergétique (efficacité énergétique), impliquant la maîtrise de la demande, la sensibilisation, mais aussi la formation pour forger de nouveaux comportements et donc un changement de culture. C’est-à-dire qu’il faut de nouveaux réseaux, un nouveau système de financement par de nouvelles politiques publiques, agir sur la réduction des besoins énergétiques en amont en augmentant l’efficacité des équipements et de leurs usages. Quatrièmement, cela renvoie   au mix énergétique qui nécessitera d’adapter le réseau électrique aux nouveaux usages, supposant un nouveau réseau de distribution adapté aux nouvelles productions et de consommations pour garantir la continuité de fourniture et au meilleur prix. Cinquièmement, la transition énergétique suppose un consensus social, l’acceptabilité des citoyens du fait de la hausse à court terme du coût de l’énergie, mais profitable aux générations futures, supposant des mécanismes car la question fondamentale est la suivante : cette transition énergétique, combien ça coûte, combien ça rapporte et qui en seront les bénéficiaires ? La transition énergétique est un processus qui devrait être traitée loin de toute polémique politique, impliquant un nouveau modèle de consommation évolutif. D’autres besoins nouveaux pourront apparaître au fil des décennies, l’objectif stratégique étant d’éviter la précarité énergétique de la majorité.

En résumé, il faut pour éviter des débats stériles clarifier le rôle des institutions et seul le conseil national de l’Energie seul habilité à tracer la politique énergétique future du pays. 

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