Le Pont

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France – Palestine, une reconnaissance qui ne règle rien

Emile H. Malet

Tôt ou tard, il y aura un Etat Palestinien et il aurait pu exister depuis bien longtemps. Déjà, en 1948, lors de la création de l’Etat d’Israël, les Nations Unies avaient proposé un partage de la Palestine mandataire, les Palestiniens soutenus par les pays arabes voisins refusèrent ce partage territorial et déclenchèrent la guerre. Première défaite. Moins d’un demi-siècle plus tard, avec les Accords d’Oslo en septembre 1993, il en fut également question, une annonce de règlement s’esquissa entre l’Israélien Itshak Rabin et le palestinien Yasser Arafat, le terrorisme l’emporta sur la raison pour aboutir à un second échec. A Taba en 2000/2001, on frôla un règlement étatique de la question palestinienne, Ehoud Barak alors premier ministre d’Israël reprenant les propositions de Rabin, Yasser Arafat s’y déroba sans que l’on en connaisse la motivation. Il en fut à nouveau question en 2008 avec Ehoud Olmert, nouvel échec. Les tentatives successives, qui toutes échouèrent du fait de la position maximaliste des Palestiniens prônant un retour indistinct des réfugiés en Israël provoquèrent un raidissement nationaliste de la politique israéelienne. Le camp « travailliste » de la paix disparut de la scène politique Israëlienne au profit de coalitions nationalistes et religieuses dirigées par Benjamin Nétanyaou. La confiance entre Palestiniens et Israéliens était ébranlée, les Palestiniens choisissant l’option islamiste et terroriste, pas seulement avec le Hamas et le Hezbollah car l’Autorité palestinienne n’exerça jamais une gouvernance modéée et constructive et les Israéliens prônant un Grand Israël en accélérant la colonisation. La question de l’Etat palestinien, face à la résurgence islamiste et au nationalisme israélien, fut renvoyée aux calendes grecques.

Lueur d’espoir pendant le premier mandat présidentiel américain de Donald Trump avec les Accords d’Abraham qui permirent la reconnaissance de l’Etat hébreu par plusieurs pays arabes (Maroc, Emirats Arabes-Unis, Bahrein, Soudan), mais pas de l’Arabie Saoudite, pays clé pour débloquer le processus israélo-palestinien. C’est alors qu’intervient la nuisance terroriste de l’Iran et de ses proxis (Hamas, Hezbollah, Houttis, …) qui se concrétisa par le pogrom du Hamas du 7 octobre 2023 qui fit près de 1200 victimes israéliennes et 250 personnes prises en otage dans les tunnels de Gaza. Avec un objectif politique : mettre fin à un rapprochement israëlo-saoudien, et un objectif militaire : l’invasion génocidaire déclenchée au sud d’Israël par un Hamas devenu le fer de lance idéologique et religieux de la cause palestinienne.

Une guerre meurtrière survint à Gaza, faisant des dizaines de milliers de victimes palestiniennes et un sordide marchandage pour la libération des otages israéliens, une cinquantaine demeurant à Gaza après deux années de guerre. Sur le plan international, on va assister à une déferlante antisioniste et antisémite aux quatre coins de la planète et une vague de soutien pour les Palestiniens à l’enseigne négationniste de « Free Palestine », dans les faits Israël était rayé de la géographie proche-orientale. De nationalisme en radicalisation politique, Benjamin Netanyaou se prononçait contre l’existence d’un Etat palestinien et pour une expansion de la colonisation, sans arriver à déloger complètement le Hamas de Gaza et pas plus à récupérer les derniers otages. C’est dans ce contexte tumultueux qu’Emmanuel Macron envisage la reconnaissance d’un Etat Palestinien, conditionnant initialement cette reconnaissance à la libération des otages, à la disparition du Hamas de Gaza, à un renouvellement de la gouvernance de l’Autorité palestinienne et à la reconnaissance simultanée d’Israël et des pays arabes, Palestiniens inclus.

Préserver les accors d’Abraham

Faisant fi de ces conditions, Emmanuel Macron fit une déclaration de reconnaissance de l’Etat palestinien le 22 septembre 2023 à la tribune des Nations Unies. Une de plus, parrait-on dire, puisque plus de 150 pays ont reconnu cet Etat qui n’a ni frontières, ni gouvernement … et surtout dont la seule reconnaissance véritable est celle qui interviendra sur proposition du Conseil de sécurité suivi d’un vote majoritaire de l’Assemblée générale des Nations Unies. Il n’en est pas question, puisque les Etats Unis mettrons en l’état leur véto à cette disposition. Sur le plan Européen, l’engagement de Macron se heurte aux refus de l’Allemagnee et de l’Italie, et apparait comme une initiative sinon isolée, pour le moins improductive car elle ne modifie pas fondamentalement la donne diplomatique au Proche Orient. Emmanuel Macron a par ailleurs présenté la « reconnaissance » comme une tentative de la dernière chance, outre que celà ne signifie pas grand-chose dans les relations internationales, pour éviter ou pour le moins contrer une annexion israélienne de la Cisjordannie. L’argument ne tient pas, car l’annexion ne se fera pas du fait que les pays arabes ayant contracté les Accords d’Abraham ont fait savoir que cette éventuelle colonisation les ferait sortir des Accords d’Abraham.  Benjamin Netanyaou est certes sous l’influence de ministres d’ultra-droite prônant la colonisation de la Cisjordannie, mais pas jusqu’à saboter une véritable avancée diplomatique pour Israël et qui porte la double signature de Trump et de lui-même …

Autre contradiction : Emmanuel Macron persiste à réclamer l’éviction du Hamas de Gaza mais s’oppose frontalement à Tsahal chargé d’en débarasser le territoire palestinien gazaoui. Enfin, ce n’est pas faire offense à la politique extérieure française que de constater son influence insuffisante pour faire reconnaitre Israël par des pays arabes, y compris ce Liban qu’on dit si proche de l’hexagone.

Bref, pour souhaitable et espérons le réalisable que soit la solution à deux Etats, Israël et l’Etat palestinien vivant côte à côte, la reconnaissance du 22 septembre 2023 ne règle rien dans cet Orient compliqué Autre désagrément, la position française ne sera pas sans conséquences de la part d’Israël, qui a fait savoir qu’il prendrait des mesures de rétorsion dans les domaines du renseignement, des échanges économiques concernant des pièces sensibles militaires et au niveau diplomatique. Emmanuel Macron a répliqué qu’il ne resterait pas « interte », mais est-ce l’intérêt de nos deux pays de s’acheminer vers une rupture à l’algérienne, voir à l’africaine ? Le Président français est par ailleurs sensible à tenir une position d’équilibre sur la scène sociale et politique française, notre pays accueille une population musulmane avoisinant les 10 millions et 350 000 juifs. La fameuse sociologie du nombre joue au détriment d’une des communautés et de surcroit les actes antisémites visant cette communauté sont en expansion dramatique. Or, le conflit israélo-palestinien est devenu une composante de l’ensauvagement de notre politique intérieure qui sous les assauts islamo-gauchistes est entrain de pourrir l’harmonie et la cohésion de la société française. De tout cela, Emmanuel Macron doit tenir compte et éviter de prendre des décisions hâtives et improductives. La reconnaissance actuelle de l’Etat palestinien participe de ce climat délétère, quand bien même l’aspiration à la souveraineté des Palestiniens est légitime et Israël devra s’y conformer pour que les deux peuples vivent côte à côte.

 

Vous pourrez retrouver cette article dans le numéro 228 de la revue Passages. 

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Journaliste, directeur de la Revue Passages et de l’Association ADAPes, animateur de l’émission « Ces idées qui gouvernent le monde » sur LCP, président de Le Pont des Idées

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