Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Israël-Palestine : Déconstruire nos certitudes pour changer

Article sur le voyage des ‘Voix de la paix’ en Israël et territoires palestiniens du 13 au 21 juin 2022

J’ai pu participer en juin 2022, en tant que photographe, au voyage en Israël et territoires palestiniens avec un groupe de toutes confessions et cultures (juifs, chrétiens, musulmans, non religieux), initié par le rabbin Yann Boissière, président de l’association Les Voix de la Paix (créée en 2015 pour promouvoir un dialogue inter-convictionnel). Rythmé par de nombreuses rencontres sur le terrain avec des israéliens et palestiniens de la société civile, ce voyage a permis de revisiter nos certitudes pour comprendre les énergies créatives de chacun, déconstruire nos préjugés, être à l’écoute, déplacer les curseurs, faire ce pas de côté pour aller à l’essentiel du vivre ensemble malgré les différences mais forts de profondes convictions humaines. Si le conflit reste complexe, nourri par des minorités extrémistes (terrorisme pour les uns et nationalisme pour les autres), grand nombre d’israéliens et de palestiniens aimeraient vivre en paix même si cette dernière n’est plus à l’ordre du jour.

Cependant, à l’écoute de la société civile lors de riches rencontres, de Ramallah à Jérusalem en passant par Bethléem et Yaffo, israéliens et palestiniens montrent cette volonté de se comprendre et de renouer le dialogue : « sortir du conflit par la créativité et non les armes bien que la jeunesse d’aujourd’hui ait moins d’espoir » confie Noha Bawazir déléguée de l’Unesco qui mène une mission en faveur de l’éducation et de la mise en valeur du patrimoine culturel palestinien au centre culturel Franco-Allemand de Ramallah, symbole fort d’unité de deux nations autrefois en conflit qui s’unissent ici pour soutenir la culture en territoires palestiniens. Des hommes et des femmes israéliens et palestiniens œuvrent sans relâche pour la paix au travers d’associations. Shorashim, association fondée par un israélien, effectue, au travers du dialogue, un travail de fond en questionnant les traumatismes et les narratifs de chacun, qui bien souvent s’entrechoquent. Leur conviction : pour changer le monde il est nécessaire de commencer par se changer soi-même, déconstruire nos certitudes, remédier à notre méconnaissance de l’autre, se transformer afin de passer de la souffrance à l’espérance et changer ainsi les comportements. Le matin même nous étions reçus dans une implantation israélienne, au sein du Kibboutz de Goush Etzion confrontés à deux visions divergentes de la politique israélienne : celle d’une tendance socialiste qui prône une solution à deux-états dans une égalité de droit et celle d’un activisme opposé aux frontières délimitées par les accords d’Oslo et prônant la récupération des terres de Judée. La visite du Peres Center for Peace and Innovation fondé en 1996 par Shimon Peres est l’occasion de rencontrer sa fille Tzvia Walden. De communauté juive libérale et non pratiquante lorsqu’on lui demande quelle part occupe la religion dans le conflit israélo-palestinien, elle nous répond : « vous avez en tant que francophone votre rôle à jouer en Israël, vous qui possédez un terme « la laïcité », pour lequel nous n’avons jusqu’à présent pas de traduction ». Tzvia, à l’instar de son père, prône l’innovation et les actions de terrains avec des messages forts : que les armes soient remplacées par le dialogue, l’éducation et les échanges, que vive la diversité dans l’unité,  que l’on bâtisse une responsabilité collective, que l’on construise des ponts et non des murs,  que l’on puise dans les religions les ressources pour la paix et non pour la guerre, que l’on se retrouve autour de convictions communes car il n’y a pas que la foi mais et surtout des convictions. Quelques moments forts d’unité du voyage : Foudil Benabadji, référent pour l’Islam, se rafraichissant les pieds dans le jourdain, là où le christ a été baptisé par Jean-Baptiste et l’office de Shabbat le matin avec une ouverture inter-religieuse à La Tayelet Haas, la plus belle vue de Jérusalem, face au Mont du Temple et au village arabe de Silwan en présence des référents des trois religions (juive, chrétienne, musulmane). On éprouve le sentiment d’être au cœur du monde, noyau névralgique de tensions réelles et en même temps bouillonnement d’énergies positives et d’idées. Comme si Dieu avait donné cette terre aride et difficile pour inciter les hommes à se dépasser. Le travail de ces nombreuses associations sont autant de bougies que l’on allume et nous l’espérons se multiplieront pour apporter un jour le pardon et la réconciliation.

 A propos des Voix de la Paix : www.lesvoixdelapaix.fr

Au-delà de l’inter-religieux classique, c’est le positionnement « inter-convictionnel » qui est la ligne de conduite car elle nous égalise tous en nous ramenant d’emblée à notre citoyenneté française, au principe de notre lien politique, laïque, dont l’égalité est fondée sur la suspension de jugement de l’Etat vis-à-vis de notre « croire » ou « ne pas croire ». Les Voix de la Paix intervient dans le débat public, propose sur le terrain des « plateformes inter-convictionnelles », en partant des « identités » (religieuses ou pas) – tendance lourde de la situation actuelle-pour les ramener au point commun de la citoyenneté. « A l’heure où les individus et les communautés se replient sur eux-mêmes, les Voix de la Paix font dialoguer et croisent les convictions aussi bien religieuses que non religieuses dans le cadre républicain pour faire entendre les voix de la paix, créer et mettre en scène leur dialogue, pour ré-enchanter la vision de notre force collective et retrouver ce qui manque à chacun et à nos sociétés aujourd’hui : la mémoire, le lien et le sens ». Yann Boissière

 

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