Le Pont

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La France et l’Allemagne travaillent à raison à une «Europe de la défense »

Hans-Dieter Lucas

Merci pour l’invitation à débattre ce soir au Sénat des relations franco-allemandes en Europe. 

Il est vrai que l’entrée en fonction d’un nouveau gouvernement fédéral et la présidence française de l’UE marquent le début d’un nouveau chapitre dans les relations franco-allemandes. 

  • Je parle à dessein de nouveau chapitre et non de tournant puisque les fondamentaux des relations entre Paris et Berlin n’ont en effet pas changé. Les premières rencontres des nouveaux dirigeants allemands avec leurs homologues français – avant-hier encore entre le Chancelier Scholz et le Président Macron – ont montré que l’étroit partenariat avec la France est primordial pour la coalition tricolore également.
  • La France est et reste notre premier partenaire en Sur ce point, , il n’y a pas de différences entre Angela Merkel et Olaf Scholz, qui a d’ailleurs été – parallèlement à son mandat de maire de Hambourg – plénipotentiaire pour les relations culturelles entre la France et l’Allemagne.
  • Pour autant, l’arrivée d’un nouveau gouvernement fédéral avec de nouveaux visages et un nouveau programme donne une nouvelle dynamique aux relations franco-allemandes.
  • La coalition tricolore sous la houlette d’Olaf Scholz s’est fixé un agenda résolument pro- européen avec pour objectif de renforcer la souveraineté stratégique de l’Europe afin que l’Europe pèse dans le monde pour défendre ses intérêts et ses valeurs y compris vis-à-vis de rivaux systémiques comme la Russie ou la Chine. Et si nous parlons de souveraineté stratégique nous ne pensons pas seulement à la défense, mais aussi à la technologie, la santé, le numérique. Afin de rendre l’UE plus capable d’agir.
  • Elle souhaite donc renforcer des institutions européennes telles que le Parlement européen ou permettre des décisions à la majorité dans le domaine de la politique étrangère. Le fait que le mot « Europe » revienne plus souvent que le mot « Allemagne » dans l’accord de coalition est parfaitement éloquent.
  • Le changement climatique et la transition numérique sont des enjeux centraux de l’accord de Le nouveau gouvernement fédéral veut obtenir des progrès substantiels dans ces deux domaines au cours des années à venir, car le temps presse.
  • Renforcer l’Europe, lutter contre le changement climatique, accélérer la transition numérique : ces trois grandes orientations font consensus à Paris comme à Berlin. 
  • Dans le même temps, sans même parler de la pandémie, le contexte est difficile pour les relations franco-allemandes, en particulier sur le plan sécuritaire : la crise autour de la Russie et de l’Ukraine, la situation en Afrique du Nord et au Sahel, les relations avec la Chine, sans oublier les nouvelles menaces dans l’espace et le cyberespace changent la donne en matière de politique de sécurité.
  • Au sein de l’UE, nous sommes aux prises avec des tendances centrifuges et des discussions difficiles sur le respect des principes de l’État de droit, notamment avec la Pologne et la Jamais depuis la Seconde Guerre mondiale probablement, nous n’avions été confrontés au même moment à des défis aussi différents et aussi vastes que nous le sommes aujourd’hui. En résumé, nous faisons face à une situation inédite !
  • Les sujets ne manquent donc pas pour un nouveau chapitre des relations franco- allemandes, dont la mission principale reste l’Europe. La présidence française de l’UE offre l’opportunité de faire face à ces défis et de faire avancer un agenda européen commun. C’est pourquoi le nouveau gouvernement allemand fera tout son possible pour soutenir la France lors de cette présidence.
  • La profonde crise que connaît la sécurité européenne vis-à-vis de la Russie est le plus grand défi La Russie ne veut rien de moins qu’une réorganisation de l’architecture européenne de sécurité fondée sur la reconnaissance de sa sphère d’influence et un arrêt durable de l’intégration dans l’OTAN et dans l’UE de nouveaux membres – tout cela dans le contexte de menaces militaires potentielles extrêmement inquiétantes concernant l’Ukraine.
  • Pour Berlin et pour Paris, comme pour nos partenaires, il s’agit d’éviter une escalade et de résoudre les questions soulevées par la Russie par la voie du dialogue, en nous fondant sur les principes dont nous sommes déjà convenus depuis 1990 avec la Russie, tout d’abord le respect de l’intégrité territoriale, de la souveraineté des États et de l’inviolabilité des frontières.
  • À cet égard, les Européens sont sur la même ligne que les États-Unis avec lesquels nous sommes en étroite et constante concertation. Les réponses données par l’OTAN et par les États-Unis aux demandes de la Russie sont sans ambages : les fondamentaux de l’ordre européen de paix ne sont pas négociables pour nous. 
  • Concernant l’Ukraine, l’Allemagne et la France continueront à coopérer étroitement et à essayer de relancer le processus de négociation, dit de « Normandie » avec l’Ukraine et la C’était l’objectif central de la visite de Mme Baerbock à Kiev et à Moscou la semaine dernière et de la réunion d’hier entre conseillers diplomatiques au format Normandie hier, c’est-à-dire entre la France, l’Allemagne, la Russie et l’Ukraine ici à Paris.
  • Au sein de l’UE comme de l’OTAN, une chose est claire : nous sommes prêts au dialogue, mais une escalade militaire de la part de la Russie envers l’Ukraine aurait de très lourdes conséquences pour la Russie, à commencer par l’application de sanctions économiques très dures. 
  • Je suis convaincu que la question russe nous mobilisera considérablement dans les mois à Cela n’empêchera toutefois pas la présidence française de se consacrer à des enjeux à long terme.
  • Le renforcement de la politique étrangère et de sécurité européenne en fait partie. Les années passées ont montré que l’UE avait besoin d’un panorama clair des défis d’une part, et d’une stratégie et de moyens pour les relever d’autre Créer un cadre stratégique commun sur ces questions, tel est l’objectif de la « boussole stratégique » sur laquelle l’UE doit s’accorder sous la présidence française de l’UE.
  • Que le travail sur cet important document de référence ait commencé sous la présidence allemande de l’UE et s’achève sous la présidence française illustre la densité de la coopération franco-allemande.
  • Il nous faut une politique étrangère et de sécurité commune de l’UE qui soit ambitieuse et réaliste. Ambitieuse dans la mesure où l’UE doit être capable de gérer des crises dans son voisinage, y compris seule s’il le faut, en particulier en C’est pourquoi la création d’une force de réaction rapide d’ici 2025 vient d’être proposée.
  • Réaliste dans la mesure où l’OTAN et l’étroit partenariat transatlantique avec les États- Unis restent incontournables pour la sécurité de l’Europe. Ensemble, la France et l’Allemagne travaillent à raison à une « Europe de la Défense ». Les grands projets d’armement franco-allemands tels que le SCAF jouent un rôle crucial à cet égard, tout comme la création d’un fonds européen de défense.
  • Mais pour la « défense de l’Europe », la défense collective, nous aurons besoin de l’alliance avec les États-Unis. Nous le voyons encore très nettement en ces difficiles semaines. D’où l’importance du projet de nouveau concept stratégique de l’OTAN qui doit être élaboré au cours des prochains mois. 
  • Concernant la politique étrangère et de sécurité européenne, j’aimerais mentionner deux autres domaines d’une grande importance pour la présidence française de l’UE, mais aussi pour la coopération franco-allemande : il s’agit de l’Afrique et de l’Indopacifique.
  • L’Afrique n’est devenue une priorité majeure pour la politique de sécurité de l’Allemagne qu’au cours des dernières années. L’engagement massif dans le domaine du développement et l’engagement militaire considérable de l’Allemagne au Mali et au Sahel en témoignent.
  • La participation allemande à la mission Minusma de l’ONU et à la mission européenne de formation EUTM Mali représente aujourd’hui les plus importantes opérations militaires de l’Allemagne à l’étranger. De surcroît, l’Allemagne apporte des contributions importantes en termes d’aide au développement et à la stabilisation dans le cadre de la coalition pour le Sahel. 
  • L’avenir de l’Europe est étroitement lié à l’Afrique. Par conséquent, nous soutenons l’engagement de la France au Sahel sur le plan militaire comme civil.
  • C’est aussi pourquoi nous ferons notre part pour que le sommet prévu en février entre l’Union européenne et l’Union africaine fasse encore progresser notre coopération dans le sens d’une alliance entre l’Afrique et l’Europe, englobant des domaines clés comme la sécurité, la santé, les questions migratoires, les infrastructures et l’éducation.
  • L’Europe a également besoin d’une approche commune sur l’Indopacifique, une région d’une grande importance stratégique et économique pour notre Il faut ici tirer les enseignements de l’affaire du pacte AUKUS qui a affaibli l’unité de l’Occident dans cette région.
  • Nous ne devrions pas entrer dans le jeu de la Chine qui applique la devise « diviser pour régner ». Nous devons donc mettre en œuvre la stratégie européenne pour l’espace indopacifique qui mise sur une approche inclusive et coopérative pour toute la région, Chine comprise.
  • La première rencontre des ministres des Affaires étrangères de l’UE jamais organisée avec nos partenaires indopacifiques qui aura lieu sous la présidence française posera d’importants jalons à cet égard. Dans le même temps, nous avons besoin d’une étroite concertation avec les États-Unis, sur l’Indopacifique également.
  • In fine, ce n’est qu’ensemble que nous atteindrons la masse critique nécessaire pour pouvoir répondre au défi complexe que représente la Chine et toute la région.
  • Notre agenda commun va naturellement bien au-delà de la politique étrangère et de sécurité. Lorsque nous parlons de la nécessité d’une plus grande souveraineté européenne, cela concerne largement la question du numérique. Concrètement, il s’agit de réguler les activités des grandes plateformes et des acteurs du numérique dans l’intérêt des consommateurs européens.
  • C’est le but poursuivi par deux importants projets législatifs qui seront présentés sous la présidence française de l’UE : le règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act) et le règlement sur les services numériques (Digital Services Act). Deux projets que l’Allemagne soutient. 
  • J’ai évoqué tout à l’heure l’importance cruciale du changement climatique pour la politique du nouveau gouvernement fédéral. Le Pacte vert de la Commission européenne et le programme « Ajustement à l’objectif 55 » (Fit for 55) montrent la voie que les États membres de l’UE doivent suivre pour parvenir à la neutralité climatique. 
  • La France et l’Allemagne sont ici d’accord sur l’objectif visé et sur de nombreuses mesures qui sont à prendre maintenant. Mais nul n’ignore que dans ce domaine, il y a une divergence de vue majeure concernant en premier lieu l’énergie nucléaire, comme l’a montré très clairement le débat sur ce que l’on appelle la taxonomie. Dans ce contexte, Berlin a souligné que pour nous, le nucléaire n’était pas une énergie durable, car, par exemple la question des déchets n’est pas encore résolue.
  • Dernier point, d’une grande importance : Le changement climatique et la révolution numérique nécessiteront d’énormes investissements si nous voulons réaliser nos ambitions et rester compétitifs à l’échelle mondiale. Cela soulève donc aussi la question de la politique budgétaire européenne et de l’avenir du pacte de stabilité. Sur ce point, nous avons un long passé d’échanges et de débats franco-allemands parfois difficiles qui trouvent leur origine dans des cultures économiques et financières différentes.
  • La France compte profiter de sa présidence pour engager un débat sur le modèle européen de croissance. Le pacte de stabilité et de croissance joue un rôle dans ce contexte. Dans l’accord de coalition, la coalition tricolore a indiqué à ce sujet que le pacte de stabilité avait fait ses preuves notamment du fait de sa flexibilité, mais qu’elle était néanmoins ouverte à un débat visant à le simplifier et à le rendre plus transparent de manière générale.
  • Lors de sa visite de prise de fonction en toute fin d’année dernière, le ministre des Finances Christian Lindner a souligné que nous devions tout d’abord nous mettre d’accord sur les objectifs en matière d’investissement que nous voulons nous fixer dans l’UE avant de débattre des règles. Il faut donc avoir ce débat sur le futur modèle de En même temps, il est nécessaire de bien gérer la mise en œuvre du plan de relance de 750 milliards d’euros adopté sous la présidence allemande.
  • Ces quelques remarques de ma part prouvent une chose : l’agenda qui nous attend est extrêmement chargé. Comme au cours des décennies passées, nous ne serons pas d’accord sur tous les Cela n’a rien d’étonnant car nous, Allemands et Français, sommes des partenaires très différents de par nos systèmes politiques, nos cultures stratégiques et économiques. Et quoiqu’il en soit, un accord franco-allemand ne saurait garantir à lui seul l’unité de l’UE.
  • Nous allons devoir continuer à nous démener pour rapprocher des positions françaises et allemandes et pour convaincre nos partenaires européens de s’associer à nos solutions. 
  • Mais c’est aussi là que réside l’atout maître du franco-allemand : savoir dépasser nos différences dans l’intérêt d’une Europe unie et en capacité d’agir. C’est là une grande responsabilité que nous ne pouvons déléguer à personne et c’est ce que les États membres attendent de nous : être une force inspiratrice et un moteur pour l’Europe. Je suis fermement convaincu que c’est dans cet esprit que le nouveau gouvernement fédéral abordera le partenariat avec la France dans les années à venir.    

Hans-Dieter Lucas est l’Ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne en France. Communication faite lors du Dîner du dialogue de Passages et Le Pont au Palais du Luxembourg le 27 janvier 2022. 

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