Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

L’Atelier d’Esther avec Pierre Buraglio

Comment mettre en mots le regard de Pierre Buraglio croisant celui de Courbet devenu « l’Origine du monde » ? Confronter la mémoire de la langue à celle de la peinture ?

Que veut dire l’origine après tout ? On cherche la source mais qui suis-je d’autre que ce qui est visible ? Ou une transaction savante avec le visible ?

Elles portent toutes leurs fesses comme des balles, pas touche, c’est à moi, toutes les enflures de l’apparence, cuisses écartées, sexe offert ? Quoi encore ?

C’est une politique généralisée ce dévoilement universel …

 

J’avais pourtant tissé pour vous une toile de lin, voulu peindre votre zone noire, car êtes-vous autre chose que la masse des univers ? Je savais ne pouvoir jamais vous atteindre qu’au bord où s’arrête l’émulsion de l’huile et du blanc, comme l’on peint un paysage de nuages ou les contours d’un dessin sous-jacent, ou plus loin encore ce qui se dissimule sous la couche peinte, peut-être le tracé d’une étoile, d’une lumière depuis longtemps éteinte ?

Ainsi voulais-je atténuer votre éclat dans la transparence, car après tout la peau n’est qu’un linge subtil ou un drapé sur l’évidence. La brutalité de la matière doit affleurer sous l’arrondi de la forme, c’est à ce prix que vient un rayonnement qui s’apparente à l’oubli.

Car que sommes-nous qu’une déchirure ouvrant à ce qui nous a toujours précédé : un pan de chair s’unit à un autre par une aimantation qui se retrouve dans les œuvres spirituelles ou les guerres.

 

Je sais, votre lascive voulait l’intensité du monde, son centre de gravité comme un regard impérieux qu’aucun voile n’apaise. Il fallait qu’il soit perpendiculaire au plan où se lève toute incertitude comme toute tendresse : ne veut-t-on toujours bien plus qu’une étreinte, on ne sait plus qui palpite entre les paumes, qui appelle la fin du jour.

 

 

Au lieu que : l’on pourrait couper vos cuisses dans le cadre, ouvrir sous l’ombre la fente secrète où enfouir nos appels. Ceci n’est pas un sexe mais la forme reprise du visible, une motte de terre ou de boue où s’enfoncer, dormir, encore.

Ainsi voulais-je ignorer les frontières de la ressemblance et ne cesser de célébrer votre apparition, la lumière ou le trait qui vous fait advenir et disparaître.

Là où l’on voulait arrondir les courbes dans un va-et-vient silencieux je voulus me laisser surprendre :

Phase1 : je me rapproche infiniment de vous.

Phase 2 : je me rends aveugle à force de vous voir.

Phase 3 : je glisse un fusain sur des plans inégaux et l’espace me découd comme je termine d’assembler ce qu’il me reste de vous : quelques lambeaux sur un papier quadrillé pas plus, afin que le trait l’emporte sur la surface, comme l’on recoud des lambeaux de souvenirs sur une mémoire encore vierge, comme l’on façonne sa matière d’un simple rappel.

 

 

Au fond nous ne sommes qu’une fabrique superficielle faite de fabriques plus anciennes. Je substituais ainsi les vieux châssis aux figures peintes, vous agrafais en fragments afin de mieux vous retrouver.

Je voulais ainsi vous rassembler comme vous ne cessiez de parcourir l’espace qui me sépare de vous, renforcer votre présence en somme.

N’étions-nous deux forces luttant sans possible résolution, sinon deux points lumineux se rejoignent soudain dans le même refus ou la même conciliation ?

Je vous multipliais alors en autant de motifs où j’approfondissais ma peur d’un jour vous quitter des yeux, d’enfermer un regard scrutant les traces d’un temps où vous m’aviez depuis toujours appartenu.

 

Ainsi voulus- je vous construire à nouveau, rehausser votre transparence d’un crayon de couleur en des hachures vous arrachant au ciel où l’on voulut vous confondre. Car vous n’êtes qu’un horizon fortuit, une forme de désobéissance.

Ainsi fallait-il vous faire recouvrer le temps initial du dessin qui vous accorde l’inachèvement, défait votre broussaille.

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Poétesse et psychanalyste

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