Le Pont

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Les couples incestueux de l’exécutif sous la Ve République

Dans son nouvel essai, dont le titre – faut-il le préciser ! – est emprunté à une fable de La Fontaine, Patrice Duhamel décrit les relations entre les présidents de la République et les Premiers ministres des débuts de la Ve République à aujourd’hui.
Témoin privilégié de la scène politique depuis plus de cinquante ans, en tant que journaliste, éditorialiste et ancien directeur général de France Télévisions, il enrichit de ses souvenirs personnels l’analyse objective et historique à laquelle il se livre pour caractériser, au cas par cas, les rapports qui ont existé au sein du couple exécutif depuis 1958.
Lui qui a bien connu la plupart de ces grandes personnalités politiques, leurs ambitions et leurs déceptions, leurs succès et leurs échecs, leurs moments de sérénité ou de grande souffrance, il explore avec talent les différents types de relations qui se sont succédés entre les présidents et leurs Premiers ministres, oscillant toujours entre duo et duel, harmonie et conflit, confiance et méfiance.
En tout cas, du début à la fin de son livre, Patrice Duhamel fait bien apparaître la profonde ambiguïté de la Ve République, qui est en réalité une sorte d’OVNI constitutionnel unique en son genre, empruntant à la fois au régime parlementaire et au régime présidentiel, et donnant lieu ipso facto à un système politique à géométrie variable, alternant entre une écrasante domination du chef de l’Etat sur le chef du Gouvernement et, au contraire, une cohabitation permettant de rééquilibrer les pouvoirs entre les deux têtes de l’exécutif.
Sont ainsi passés en revue quatorze couples, de Charles de Gaulle et Georges Pompidou à Emmanuel Macron et Elisabeth Borne.
Dès le premier de ces couples, on voit peu à peu se dégrader la vraie relation de confiance qui s’instaure entre le général de Gaulle et son Premier ministre en 1962 et qui se transforme en méfiance réciproque provoquant leur rupture et le départ de Georges Pompidou en 1968.
Une dégradation que l’on verra souvent se reproduire par la suite, même si le désaccord entre Georges Pompidou, devenu président en 1969, et son Premier ministre Jacques Chaban-Delmas, s’est très tôt manifesté (dès le discours de politique générale sur la « nouvelle société »), conduisant trois ans plus tard à un véritable limogeage du chef du Gouvernement après de fortes tensions entre les deux hommes et surtout leurs entourages respectifs.
Le couple formé par Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac aura lui aussi été marqué très rapidement par un désaccord profond, débouchant sur le départ du Premier ministre deux ans seulement après sa nomination, seul cas à ce jour de démission de nature conflictuelle décidée par le chef du Gouvernement et par lui seul.
Les cinq couples suivants ont pour partenaire commun François Mitterrand. Avec Pierre Mauroy, nommé en 1981, la confiance entre les deux hommes a été pratiquement totale pendant trois ans et la loyauté du Premier ministre irréprochable, pour ne pas dire exemplaire. Une relation de confiance, en revanche, qu’on ne retrouvera pas en 1988 avec Michel Rocard, nommé à ce poste par François Mitterrand pour mieux l’affaiblir et lui barrer la route de l’Elysée au cas où celui-ci aurait eu l’intention de prétendre y accéder. La relation s’acheva donc par un limogeage en bonne et due forme, comme ce fut le cas en 1972 pour Jacques Chaban-Delmas. Le couple formé ensuite avec Edith Cresson fût comme on le sait du style « brève rencontre » et assurément un choix hasardeux de la part de François Mitterrand.
C’est également sous la présidence de François Mitterrand qu’ont eu lieu les deux premières cohabitations, transformant les duos plus ou moins pacifiques antérieurs en véritables duels, le premier plutôt violent avec Jacques Chirac de 1986 à 1988, le second plus feutré avec Edouard Balladur de 1993 à 1995, se durcissant néanmoins très sérieusement sur la fin.
A l’issue de ces deux septennats de François Mitterrand, le duo formé par Jacques Chirac et Alain Juppé fût assurément l’un des plus fusionnels de la Ve République. Mais l’idylle aura été de courte durée, car brutalement interrompue par l’absurde dissolution de 1997, provoquant une troisième cohabitation et transférant de nouveau le pouvoir, mais cette fois pour cinq ans, de l’Elysée à Matignon, Lionel Jospin se trouvant dans la situation, comme le furent en leur temps Jacques Chirac et Edouard Balladur, d’affirmer son autonomie par rapport au président de la République et de « déterminer et de conduire » lui-même la politique de la nation, respectant ainsi réellement l’article 20 de la Constitution.
Après cette ultime cohabitation et ce retour à une pratique parlementaire du régime, le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral ont conduit à une hyper présidentialisation affaiblissant considérablement la fonction du Premier ministre, le réduisant à un rôle de simple « collaborateur » du chef de l’Etat, comme l’illustre parfaitement la relation entre Nicolas Sarkozy et François Fillon ou la relation entre Emmanuel Macron et Elisabeth Borne, très bien décrites par Patrice Duhamel dans les derniers chapitres de son livre.
Chacun des duos évoqués par l’auteur, qui a véritablement vécu « de l’intérieur » l’histoire de ces rapports toujours complexes entre les deux têtes de l’exécutif, a ses propres caractéristiques, qu’il s’agisse de conflits ouverts ou de batailles plus secrètes. Ils permettent en tout cas de mieux comprendre le fonctionnement des institutions de la Ve République en découvrant les rivalités politiques et les combats personnels qui animent le sommet de l’Etat.

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Professeur de droit public à l’IPAG de l’Université Panthéon Assas

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