Nicolas Sarkozy a-t-il barré la route de Valérie Pécresse ?

 « Toute ma vie, affirme le père de Valérie Pécresse, Dominique Roux, je n’ai eu peur de rien. Ma fille non plus ». Etonnamment, pourtant, cet ancien professeur à l’Université Paris-Dauphine, à HEC et Sciences Po, puis dirigeant d’entreprise et membre du Cercle des Economistes, parait parfois encore peser sur le caractère et le destin d’une surdouée passée très jeune par HEC et l’ENA et devenue aujourd’hui présidente de la première région de France et candidate à l’Elysée. Sur la première photo de famille publiée il y a quelques mois par « Match », ne le voit-on pas au premier plan, devant la mince quinquagénaire choisie par le parti dit « gaulliste » pour affronter Macron à la présidentielle ? Tandis que la mère de la candidate, Catherine Roux, décrit discrètement en coulisses une adolescente à laquelle il fallait dire à table « Enlève ton livre de tes genoux » car « elle lisait à la fois Proust, Tolstoï et des conneries » …

Tandis que son mari, Jérôme Pécresse, brillant dirigeant d’entreprise et père de ses trois enfants, s’éclipse devant les photographes, le père, issu d’une famille de petits commerçants des Hautes Alpes, impose sa puissante stature. Dans un livre pourtant dédié « A nos mères, qui nous assignent un rôle », Hubert Coudurier, passionné de psychanalyse familiale, lui consacre donc un chapitre important, juste après celui qui ouvre la saga avec le grand- père maternel de Valérie Pécresse, le célèbre psychiâtre Louis Bertagna, qui soigna Romain Gary et André Malraux et enseigna à l’adolescente « lorsque la vie vous a beaucoup donné, il va de soi qu’on doit donner aux autres ».

Mais c’est plus loin, après le chapitre où on la voit entrer, toute jeune, au cabinet du président Jacques Chirac ( où l’accueille un Dominique de Villepin moins bien placé à sa sortie de l’ENA, mais extraordinairement condescendant ! ) que surgit un personnage décisif dans la campagne d’aujourd’hui, un homme que l’auteur juge cruellement « atteint du syndrome de Sardanapale » : Nicolas Sarkozy ! Président de la République, il fit de la jeune surdouée une Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, chargée d’une réforme qu’elle soutint durant neuf mois, envers et contre toutes les manifestations, les menaces et même le harcèlement de ses enfants dans la cour de l’école. Mais, en dépit de l’exceptionnelle résistance de Pécresse, il lui préféra Rachida Dati et Rama Yade. Parce qu’elles étaient plus nouvelles sur l’affiche ? Mieux représentantes de la « diversité » ? Moins diplômées ? Parce que, relate Hubert Coudurier en citant quelques-unes des confidences « vachardes » de l’ex président, la jeune énarque avait « pris le melon » ?  

Au fil de plusieurs rencontres, visites de terrain et meetings à travers la France avec son héroïne, Coudurier tisse le récit de cette relation très complexe. Aujourd’hui encore, et bien que la candidate présidentielle du LR s’applique à lui rendre hommage et à le faire applaudir dans ses meetings en lançant « Et puis, il y a eu Nicolas Sarkozy, sa force, sa vision. Il m’a donné cette chance unique d’être ministre de la République ! » Sarkozy ne se décide pas à franchir le pas pour la soutenir. Envie-t-il toujours les titres universitaires et le rang brillant d’énarque de Pécresse, lui qui maintenant se pique de connaitre par cœur non seulement « La Princesse de Clèves » mais toute l’Histoire et la littérature françaises ? Lui garde-t-il une sourde rancune de n’avoir pas été assez soumise, alors qu’elle a pris soin de lui rendre visite à la veille du meeting de lancement de sa campagne et qu’elle n’omet jamais, dans ses discours, de le citer en termes élogieux ? Ou bien, tout simplement, l’ancien Président, qui se plait à être consulté par Emmanuel Macron, ne se veut-il pas de successeur dans son propre camp ? La question, qui court tout au long de cette biographie très documentée, en fait une passionnante tragédie.