Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Couple Président-Premier ministre, un couple infernal ?

Il n’aura pas fallu longtemps pour que l’apparente entente entre le président Macron et son ex Premier Ministre Edouard Philippe éclate publiquement. Malédiction des institutions de la Vème République?

Pourtant, Edouard Philippe avait été respectueux des usages au point, parfois, d’apparaître soumis à Emmanuel Macron. On se souvient comment, Premier ministre, il avait retiré son projet de limiter la vitesse sur les routes à 80kms, puis sa réforme des retraites – ou du moins la fixation d’un « âge pivot » à 64 ans -après 39 jours de grève et dans le souci de ne pas affaiblir le Président. On se souvient aussi comment, quelques mois après son départ de Matignon, il déclara qu’il ne se présenterait pas à l’élection présidentielle de 2022 et affirma même, au lendemain du lancement de son propre mouvement « Horizons », « Je soutiendrai le Président de la République ». Certes, il écrivait des livres, comme « Impressions et lignes claires » (J.C Lattès, 2021), mais c’est son collaborateur et ami Gilles Boyer qui semblait tenir la plume. D’ailleurs il fallait être bien malin pour déceler les signes d’une véritable ambition au fil de digressions historiques et littéraires et de petites phrases comme « Nous voulons rappeler les bienfaits d’une forme de verticalité dans la façon de conduire les affaires de l’Etat ». Mais il a suffi que le mouvement « Horizons » esquisse un pas pour se rapprocher du petit parti « Agir » créé par le ministre centriste Franck Riester pour qu’aussitôt, l’Élysée réagisse par un « Niet » et pousse l’ancien Premier Ministre à manifester sa colère.

Car depuis le premier jour de son ascension vers le pouvoir, Emmanuel Macron a veillé jalousement au choix de ses collaborateurs, puis de ses ministres et premiers ministres. Au point que l’on s’interroge : et si leur qualité première, à ses yeux, était non seulement d’être parfaitement soumis, mais de savoir s’effacer à temps afin d’éviter de se rendre plus populaires que le Président ? En tout cas, Edouard Philippe, qui caracole en tête des sondages depuis que le populaire Nicolas Hulot a dégringolé, était devenu, malgré son art de l’esquive, une menace.

Pompidou, sur de De Gaulle en mai 68 « C’était moi qui avais tenu » 

On songe à Georges Pompidou, choisi par de Gaulle en 1962, en dehors du cercle des élus gaullistes et en dépit de sa collaboration à la Banque Rothschild, pour succéder à Matignon à Michel Debré. Le normalien, qui fut modeste collaborateur au cabinet du président du Gouvernement Provisoire de la République Française en 1944 et promit alors à sa femme de ne jamais s’engager en politique, va tenir durant plus de six ans à Matignon. En mai 68, alors que le Général, retour de Baden-Baden, réaffirme son autorité, son fidèle Premier ministre tente, écrit-il ( « Pour rétablir une vérité », Flammarion 1982) « d’éviter l’excès, notamment en refusant de me rendre à la manifestation du 30 mai… » Mais il ajoute « Ce n’en était pas moins moi qui, dans les jours de mai, discutais, parlais au pays, à l’Assemblée, aux syndicats, aux politiques. Pour la masse, c’était moi qui avais tenu. Le Général avait été « absent ».

 On connait la suite : la nomination à Matignon de Maurice Couve de Murville, mais surtout l’affaire Markovic, qui éclate à l’automne 1968 et affecte cruellement Georges Pompidou et sa femme Claude. En novembre, l’ancien Premier Ministre obtient un rendez-vous à l’Élysée. Il y pénètre par une entrée secrète « Mon Général, lâche-t-il très ému, j’ai trois choses à vous dire (…) Ni Place Vendôme ni à Matignon ni à l’Elysée, il n’y a eu la moindre réaction d’homme d’honneur ! » La réconciliation n’aura pas lieu. Le 17 janvier 1969, alors que de Gaulle s’apprête à lancer la campagne pour le referendum sur la régionalisation et la rénovation du Sénat qui va précipiter son départ, Pompidou, en voyage en Italie avec sa femme, lance son fameux « Appel de Rome » : « Il va de soi que, si le général de Gaulle se retirait, je serais candidat… »

Mitterrand : « Le plus gros mange le plus petit »

« Il s’agit, au-delà des personnes, résumera François Mitterrand, chef de l’opposition (« La paille et le grain », Flammarion, 1975) d’une loi spécifique au système qui nous régit. Deux présidents, dans notre marigot constitutionnel, c’est un de trop. La nature est là, qui t’invite et qui t’aime : le plus gros mange le plus petit ». Le futur chef de l’État évoque alors la situation impossible du Premier Ministre gaulliste Jacques Chaban-Delmas, bientôt poussé dehors par le président Pompidou. La formule ne s’appliquera pas à ses propres relations de chef de l’État avec son Premier Ministre Pierre Mauroy, fidèle au point de résister à toutes les humiliations et à toutes les sirènes. Mais qu’on se souvienne de la démission de Jacques Chirac, premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, et de son annonce télévisée « historique » du 25 août 1976 « Je ne dispose pas des moyens que j’estime nécessaires pour assurer efficacement les fonctions de Premier Ministre. Et dans ces conditions j’ai décidé d’y mettre fin ». « J’ai décidé » ! Une première dans l’histoire de la Vème République. Aucun des successeurs de Chirac à Matignon ne manifestera avec autant d’éclat à la fois ses blessures d’amour propre, son désaccord politique et son interprétation personnelle, « révolutionnaire », des institutions créées par le Général. Mais tous – ou presque tous – à l’exception, jusqu’à ce jour, de Bernard Cazeneuve, l’impeccable Premier ministre de François Hollande, et de Jean Castex, le dévoué successeur d’Edouard Philippe sous la tutelle du président Macron, cèderont à un moment donné au désir de redresser la tête et d’exister par eux-mêmes. Sur le conseil de collaborateurs ou amis qui projettent sur eux leurs rêves de pouvoir. Et parce qu’une petite voix a commencé à leur souffler « Je ferais mieux que lui ».

 On se souvient du « plus jeune Premier ministre donné à la France » par Mitterrand, Laurent Fabius, affirmant en 1976 : « Lui, c’est lui, et moi, c’est moi ». On se souvient aussi du premier « collaborateur » de Nicolas Sarkozy, François Fillon, déclarant en Corse en 2017 « Je suis à la tête d’un État en faillite ». La faute aux institutions ? Matignon rend aussi susceptible que l’Élysée. Prenez garde aux orgueils blessés !

 

Christine Clerc est journaliste et écrivaine. Derniers ouvrages parus : « Adieu la France ! Pourquoi de Gaulle est parti » et « Domenica la diabolique » (Éditions de l’Observatoire).

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Journaliste et écrivaine

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