Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Retrouver la boussole et déposer l’anémomètre

Si la politique vit au rythme des élections, elle ne s’ennoblit que dans la fidélité à des convictions. Les premières se succèdent et les autres demeurent. Les unes se gagnent ou se perdent et les autres constituent ce socle qui, dans la victoire comme dans la défaite, permet de demeurer toujours digne.

Comme des générations de femmes et d’hommes épris de démocratie et de justice, j’ai rejoint il y a plus de trente-cinq ans les rangs du Parti socialiste. Je l’ai fait, pénétré d’une histoire dont nous étions, avec des milliers de militants, les modestes dépositaires. C’est en effet dans la grande et vieille maison que tant d’épreuves avaient contribué à faire grandir que depuis Jaurès, il y a près de cent-vingt ans, on menait les luttes, on concevait des lois pour servir des valeurs humanistes et les concrétiser. Ensemble, nous voulions que la vie fût meilleure pour tous, et d’abord pour la jeunesse et le monde du travail, ici comme à l’autre bout du monde.

Avec d’autres à gauche, se confrontant à l’ordre des choses pour le changer, au risque de n’être jamais sûrs d’y parvenir en tout point ni sur le champ, les socialistes ont gouverné la France, leurs convictions au cœur. Au Parlement, comme dans le débat public, une certaine conception du monde et de l’humanité les inspirait toujours, même lorsque les suffrages, lors des alternances, les avaient placés dans l’opposition. Leurs convictions, la passion de la démocratie et de la justice, un irrépressible attachement à la République, le sens des responsabilités et de l’universalisme inspiraient chaque jour, comme ils continuent de le faire dans de nombreux territoires de métropole et des outremers, les élus locaux du Parti socialiste et ceux qui y sont apparentés, ainsi que les militants mobilisés dans les associations, les syndicats, pour la défense des services publics, le soutien à la culture et à l’éducation populaire.

En politique, savoir qui l’on est et ce que l’on veut, c’est aussi avoir une idée claire de ce que l’on n’est pas et de ce que l’on n’acceptera jamais de devenir.

L’indépendance de la Nation n’a jamais signifié la rupture de ses alliances militaires ni l’accommodement avec des régimes autoritaires ou des dictatures, sur notre continent ou sur d’autres.

La République laïque ne peut frayer avec le communautarisme.

Le pacte républicain ne peut vivre dans la haine entretenue de l’Etat, de la police qui protège et de ceux qui servent la Nation au nom de l’intérêt général.

La réorientation des politiques de l’Union ne saurait se traduire par la destruction du projet européen qui permettrait à d’autres de décider, à notre place, de notre destin. Pas plus que ne serait concevable une remise en cause du lien entre notre pays et l’Allemagne, sans lequel il n’est pas d’Europe forte face aux défis du monde.

La démocratie fondée sur la représentation, le suffrage universel et le respect des corps intermédiaires ne peut que se perdre dans le populisme et une personnification d’un autre temps, qui emprunte à tous les travers de la vieille politique.

L’indépendance de la France et le respect d’objectifs ambitieux pour le climat passe par un mix énergétique crédible et souverain, par un recours accru aux énergies renouvelables, au côté du nucléaire, et non en substitution à celui-ci.

L’économie sociale et écologique de marché – seule capable de conjuguer production, bien être et travail, répartition des richesses et préservation de la planète – n’est pas soluble dans une contestation de tout, qui rend l’action impossible en la confondant avec l’outrance, la rage et la colère surjouées, en permanence suscitées et entretenues.

En Europe, la gauche qui gagne est une gauche de gouvernement qui se confronte au réel. Elle peut le faire dans le contexte d’alliances larges, mais jamais sur le fondement d’un programme conçu et imposé à ses marges extrêmes.

En politique, la défaite n’explique pas tout ni ne peut tout justifier. Les actuels dirigeants du Parti socialiste ont engagé, sans consultation des adhérents, une négociation avec la France insoumise en vue des élections législatives. Alors que le parti de Jean-Luc Mélenchon a combattu sans répit le Parti socialiste, lorsqu’il gouvernait comme lorsqu’il ne gouvernait plus, qu’entre les deux formations ni les valeurs ni les moyens d’action ne sont communs, les négociateurs socialistes ne verraient désormais entre elles « aucun point insurmontable ». Quelques heures auraient ainsi suffi à oublier les divergences les plus fondamentales, ou plutôt à les taire.

Se présenter devant les électeurs fiers de nos valeurs et sous nos couleurs au premier tour, en vue de nous rassembler avec les autres formations de la gauche républicaine et les écologistes au second, c’est le choix de la dignité. Toute autre option signerait le reniement de nos convictions et l’oubli de nos réalisations, un manquement à notre histoire, un renoncement à l’avenir. Parce que je suis fidèle au socialisme républicain et que je le resterai, je ne pourrai, en conscience et en responsabilité, demeurer dans le parti dont les dirigeants auront oublié ce qui le fonde et perdu leur boussole. Je forme le voeu que la famille politique à laquelle je suis attaché se ressaisisse, et qu’elle renaisse. Chacun doit apporter son concours à cette cause : il faut désormais tout reconstruire et tout réinventer, alors que le pouvoir actuel, à l’aube d’un second quinquennat marqué à droite, fait fi du danger dans lequel son grand-oeuvre d’élimination des clivages démocratiques plonge notre pays. Il y aura, j’en suis convaincu, assez de coeurs vaillants pour s’atteler à cette tâche immense. La France et l’Europe, dans les circonstances actuelles, face aux défis qu’il leur faut relever, ont besoin d’authentiques convictions et de solutions responsables et crédibles qui donnent espoir à nos concitoyens.

Pour atteindre l’objectif, il nous faut regarder lucidement ce que nous avons réussi et les raisons de nos échecs. Il faut donner un débouché politique, comme François Mitterrand a toujours su le faire, aux aspirations populaires. Il faut conjuguer, selon les mots de Jaurès, l’idéal et le réel. Refonder n’est pas se renier. C’est garder le cap, celui d’une gauche politique, sociale et écologique et sincère. Il appartient aux socialistes, encore et toujours, de reconstruire cette force qui doit redevenir le pilier de l’alternance à laquelle nos électeurs aspirent et que mérite notre pays.

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Ancien Premier ministre

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