Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Vers un renouveau du nucléaire en Europe ?

Réchauffement climatique, prix et approvisionnement de l’électricité, épuisement des ressources naturelles, accès aux matériaux critiques, exigence de souveraineté, tout pousse les Etats industrialisés à se tourner vers l’énergie nucléaire.

Pourquoi un tel retournement en Europe ?

La politique énergétique allemande de sortie du nucléaire est un échec patent. La crise gazière puis la guerre en Ukraine l’ont rendu encore plus évident. Cet échec climatique, industriel et de souveraineté résulte de choix politiques qui ont ignorés les lois incontournables de la physique et l’état de développement des technologies. En bref, l’intermittence des énergies renouvelables en absence de solution actuelle pour le stockage de masse de l’électricité. L’Allemagne a dépensé plus de 600 milliards d’euros dans l’éolien, le solaire et les réseaux mais elle est en échec pour ses émissions de gaz à effet de serre, ses pollutions, son industrie énergétique et le prix de son électricité. C’est donc en toute logique que de plus en plus de voix s’élèvent en Allemagne pour dénoncer l’abandon du nucléaire et ses conséquences.

Pourtant au niveau européen, l’Allemagne a su imposer sa politique énergétique. Ce faisant l’Union Européenne ne respecte ni le traité Euratom, qui encourage le développement du nucléaire civil, ni le traité de Lisbonne qui laisse le choix pour leur mix énergétique aux États-membres. Cette violation patente n’a pas, jusqu’à aujourd’hui, été portée devant la CJUE par la France.

Toutes les dispositions de soutiens financiers aux énergies éolienne et photovoltaïque sont refusées à l’énergie nucléaire pourtant pilotable et la plus décarbonée. C’est au prix d’affrontements incessants que la France, qui a tardé à défendre le nucléaire, commence à arracher quelques dispositions, mais toujours sous des conditions restrictives.

La France a malheureusement suivi en partie les errements énergétiques allemands, cédant aux mêmes pressions idéologiques et politiques. Négligeant son atout compétitif principal, elle a cessé de développer son parc nucléaire depuis 25 ans, allant même jusqu’à prévoir sa réduction drastique et rapide sans anticiper son renouvellement, s’inscrivant ainsi, sans le reconnaitre, dans une perspective de sortie du nucléaire. Elle a de surcroît diminué ses capacités de production d’électricité pilotable de 12 GWe en une dizaine d’années, menaçant ainsi son approvisionnement, tandis que le prix du MWh s’emballait.

Malgré ces graves erreurs, qu’une commission d’enquête parlementaire a clairement démontrées, notre pays reste leader des pays du G7 quant à ses émissions de gaz à effet de serre (GES) par habitant. Son parc nucléaire, amputé sans raison autre que politique des 1,8 GWe de Fessenheim, et son industrie nucléaire qui couvre toute la filière, restent notre meilleur atout industriel et économique, après que le discours du Président de la République en février 2022 à Belfort ait annoncé le changement d’une politique énergétique qui a déjà fait beaucoup de dégâts durables et qui conduisait vers le black-out. 

Toutefois, la relance ne sera réelle et à la hauteur des enjeux qui si les nombreux relais antinucléaires au sein même de l’exécutif, des cabinets et de l’administration cessent leurs activités hostiles au nucléaire, plus ou moins cachées, déclinaison asymétrique d’un « en même temps » destructeur. Le lobby national et international antinucléaire ne fait bien souvent qu’un avec le lobby des ENR intermittents. Sa puissance, son ubiquité, son efficacité nécessiteraient des investigations pour en connaître les conflits d’intérêts politiques et financiers, son dessein géopolitique.

Il y a urgence à cette relance de l’ensemble de la filière. Ni les décisions, ni leur mise en œuvre ne sont à la hauteur des retards accumulés. L’Europe et son industrie ne résisteront pas longtemps à une électricité 2 à 3 fois plus chère que dans le reste du monde. Pour notre pays il s’agit d’un enjeu national vital, qui exige une volonté politique et un engagement puissants.  Sans oublier ce que disait Einstein : « On ne résout pas les problèmes avec ceux qui les ont créés. »

Le renouveau du nucléaire en Europe est une bonne nouvelle, mais là aussi il doit être de grande ampleur et rapidement conduit afin de limiter les dégâts de l’attrition industrielle qui s’abat sur l’Union Européenne.

À la désindustrialisation européenne, que les prix instables et élevés de l’électricité ne peuvent qu’aggraver, il ne faudrait pas qu’à l’importation de produits manufacturés s’ajoute l’importation d’électricité chinoise. Cette perspective n’est pas à prendre à la légère. La Chine est le premier producteur d’électricité thermique, éolienne et solaire, elle le deviendra aussi pour l’électronucléaire avec 22 réacteurs en construction et le projet de multiplier par 7 son parc nucléaire d’ici 2060. Or, la Chine maîtrise également le transport de l’électricité à très longue distance en courant continu à très haute tension. D’ores et déjà cette électricité exportée en Europe serait compétitive et rentable. Quand on connaît la facilité avec laquelle l’Union Européenne et ses États-membres peuvent céder à des opportunités commerciales extra européennes, on mesure l’enjeu stratégique d’un projet nucléaire civil européen qui ne ferait que mettre en œuvre l’esprit et la lettre du traité Euratom, dont la pertinence, comme aux origines de l’Europe, restent d’actualité.

Quelles conditions pour ce renouveau ?

C’est d’abord un choix et une volonté politique sans faille des Etats-membres qui est nécessaire. Ce choix pour le moment est « facilité » par les opinions publiques redevenues favorable à l’électronucléaire, face au défi climatique et à l’augmentation des prix de l’électricité. Au point que 14 États-membres, ainsi que le Royaume Uni, ont conclu une alliance sur cette orientation électronucléaire. C’est aussi un changement d’attitude de la Commission et du Parlement, renouvelables en 2024, qui pourrait enfin tourner la page d’une attitude de ces deux institutions ouvertement hostiles au nucléaire civil.

Enfin la relance du nucléaire doit être un projet européen, par ses enjeux et son caractère vital et stratégique. Le nucléaire, comme l’indiquent le GIEC et l’AIE, n’est pas une énergie de transition mais une énergie d’avenir nécessaire pour contenir le réchauffement climatique anthropique. De la chaine du combustible au traitement des déchets en passant par les réacteurs de puissance PWR et EPR, les SMR et AMR, sans oublier la relance de la R&D sur la 4ème génération, les surgénérateurs, et le nucléaire durable, l’Europe doit viser haut. Elle joue sa survie industrielle. Elle doit s’organiser autour d’un projet sur 50 ans, pour la conception, le génie civil, les équipements, la forge, l’usinage, le soudage … Elle doit se libérer de la pression malsaine du lobby antinucléaire qui l’a poussée dans une impasse énergétique dangereuse.

En l’absence d’une telle stratégie et de sa mise en œuvre rapide le risque d’un décrochage européen serait inéluctable face au reste du monde industrialisé.

 

*Président PNC-France, ancien Président de l’Assemblée nationale

Communication faite au cours d’un séminaire Passages-ADAPes le 12 octobre 2023 pour la préparation du colloque du 11 mars : Le renouveau du nucléaire en Europe.

 

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Docteur en médecine, ancien Président de l'Assemblée nationale et Président de PNC France.

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