Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

L’électricité : une urgence durable pour la France

https://www.nrc.gov/reading-rm/doc-collections/fact-sheets/fs-reactor-license-renewal.html#intro

Pour éclairer les décisions du Conseil de Politique Nucléaire présidé le 3 février 2023 par le Président de la République, je recommande vivement de lire ou de regarder le débat au Sénat le 24 janvier 2023 sur le projet de loi « nucléaire » présenté par Agnès Pannier-Runacher. La veille, au Sénat également, les mêmes questions avaient été discutées dans un important colloque organisé par « Passages » et « le Pont », qui avait même dépassé la capacité de la salle Médicis.

Le point de départ est la double décision affirmée par le Président de la République le 22 février 2022 à Belfort : d’une part lancer un programme de nouveaux réacteurs nucléaires. EPR2 et SMR ; d’autre part, « ne fermer aucun réacteur existant sauf raisons de sûreté ». La seconde décision avait été peu commentée jusqu’à l’examen de ce projet de loi et elle est en février 2023 reprise sous la forme « le lancement d’études permettant de préparer la prolongation de la durée de vie des centrales existantes à soixante ans et au-delà, dans des conditions strictes de sûreté garanties par l’Autorité de Sûreté Nucléaire ». C’est un peu langue de bois et il me paraît utile d’y revenir compte tenu des enjeux actuels de l’électricité en France.

Il y a aujourd’hui plusieurs convergences importantes quoiqu’encore fragiles. D’une part, chacun souligne que l’urgence climatique va impliquer d’augmenter rapidement l’électrification des transports et mobilités (individuelles et collectives), des processus de production, des chauffages/climatisations résidentiels et tertiaires,… ; d’autre part, malgré les boucliers mis en place, la gravité des conséquences de l’explosion actuelle des prix de l’électricité en France  fait consensus, personne ne considérant d’ailleurs  que la guerre en Ukraine en aurait la responsabilité principale. Donc, le Sénat examine et modifie calmement les dispositions proposées par le gouvernement pour la réalisation du « nouveau nucléaire », en aboutissant à un texte voté à une très large majorité…mais dont l’intrusion dans les questions de prévision du mix énergétique fait bondir Greenpeace et Sortir du nucléaire qui annoncent quitter le « débat public » en cours.

Je suis pour ma part choqué de réentendre l’argument fallacieux  selon lequel les réacteurs français en service auraient été construits avec la perspective d’une durée de fonctionnement de 40 ans : cette « fake news »   a facilité la conclusion selon laquelle « réduire l’électricité nucléaire à 50 % en 2035 »  par la fermeture rapide d’une douzaine d’entre eux  serait à coûts nuls pour tout le monde , voire même permettrait opportunément d’éviter un « effet falaise » résultant de leur construction en  1980-1990 avec une rapidité qu’on penserait inaccessible aujourd’hui. Ce discours « 40 ans » était en réalité une mauvaise reprise de la législation américaine qui prévoit des autorisations initiales de 40 ans pouvant être suivies par une ou plusieurs prolongations de 20 ans. Je recommande la lecture de la liste des autorisations « 80 ans » déjà accordées par la NRC.

https://www.nrc.gov/reading-rm/doc-collections/fact-sheets/fs-reactor-license-renewal.html#intro

En France, la règle est une « visite décennale » où l’installation fait l’objet tous les 10 ans de contrôles approfondis, de modifications et réparations si elles sont nécessaires et éventuellement d’une mise aux nouvelles normes définies par l’ASN comme après Fukushima. Il est très satisfaisant qu’en 2023 EDF soit invitée à étudier et soumettre à l’IRSN et à l’ASN les mesures qu’elle proposerait pour un passage à 80 ans comme aux USA mais il est regrettable que le discours « 40 ans » ait été conservé sans critique, par exemple via les « scénarios » mis en discussion pour débattre des options pour le futur. Le résultat a été une image peu motivante des perspectives d’activité dans le nucléaire existant alors que, y compris bien entendu en intégrant les réinvestissements du « grand carénage », le prix de revient de l’électricité qu’il produit est très largement inférieur à celui de chacune des autres options et le restera sans doute durablement. Une perspective limitée à une dizaine d’années est forcément peu attractive pour tout jeune, de bac +2 ou bac +12, et ne répond ni au besoin de reconstitution des compétences ni aux nécessités de développement rapide de l’utilisation de l’électricité. Bien entendu, qu’il s’agisse de 40, 60 ou 80 ans, la sûreté est un prérequis mais préempter sans réflexion l’option « 40 ans » est d’autant plus choquant que les prix de l’électricité explosent et resteront durablement très élevés, en particulier du fait des options allemandes. Pour cesser la dépendance aux importations, reconstruire la situation où la France était exportatrice impose de reconstituer au plus vite les compétences nécessaires pour retrouver un taux de fonctionnement correct du nucléaire existant, sans que cela conduise forcément à ralentir les investissements dans le nouveau nucléaire ni l’éolien ni le photovoltaïque.

Certes , pour l’électricité, le rétablissement d’une production et  utilisation françaises rentables n’est –  il pas forcément le penchant naturel de Bruxelles ni de Berlin comme l’ont montré les débats sur la « taxonomie » ou « l’hydrogène vert » mais les mêmes motivations conduiront à des convergences entre la France et plusieurs autres pays : les options de « sortie du nucléaire »  sont sans doute solidement installées en Allemagne, en Autriche et au Luxembourg mais certainement  pas dans toute l’Europe ni sur les autres continents.

Il est important de montrer une mobilisation française générale pour retrouver nos atouts dans l’électricité, électrifier tout ce qui peut l’être et cesser d’arrêter aucun moyen de production existant, ni hydroélectrique ni nucléaire. En France, pour l’électricité, la décroissance n’est pas une option. ♦

*Ingénieur général des mines. 

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Ingénieur général des mines et ancien délégué aux risques majeurs

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Réponses

  1. Tout cela devrait être évident pour tout le monde. Malheureusement, en France, l’hostilité au nucléaire ne désarme pas. Elle ne se limite d’ailleurs pas au nucléaire mais concerne aussi l’industrie et même l’agriculture. Manifestement le français moyen, encouragé d’ailleurs par des élites n’ayant pas la fibre industrielle et commerciale, ne conçoit pas de vivre autrement que dans une société dominée par les services de préférence publics (activité propre, peu fatigante et noble, se colleter au réel étant réservée aux manants), sans se rendre compte que les services ne sont que ce qui permet de valoriser la production primaire et sans se rendre compte également que pour obtenir ce que nous ne produisons pas et les matières premières indispensables il faut bien les échanger contre quelquechose désiré par un client étranger. Et ce quelque chose est rarement un service qui peut être bien plus facilement fait localement. Le résultat final est que notre taux d’industrialisation est en chute libre et que nos exportations ne concerneront bientôt plus que les produits de luxe et l’accueil de touristes venant visiter un pays musée.
    Revenir la raison sur le nucléaire est indispensable pour stopper la chute mais cela ne se réglera pas par quelques décisions administratives (exemple le démantèlement injustifié de l’IRSN alors que quelques retouches auraient suffi) ou l’épaississement du journal officiel, c’est l’état d’esprit général des français qui doit évoluer et c’est autrement plus difficile.