Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Antoine-Tristan MOCILNIKAR nous a quittés.

Hélène Peskine*


Petit dernier, chéri de sa maman, Antoine-Tristan portait en lui cette lumière particulière des enfants qui grandissent sous le regard attentif et tendre d’une mère. Avec sa sœur Gabrielle, et ses frères, il a partagé cette complicité unique, ce lien indéfectible qui ne s’efface jamais, même quand la vie nous éloigne.

Presque aveugle, il voyait pourtant bien au-delà des apparences. On aurait dit qu’il possédait un sixième sens, une acuité exceptionnelle pour percevoir ce que les autres ne voyaient pas. Peut-être était-ce là le secret de son intelligence si vive, de sa capacité à anticiper, à comprendre le monde autrement.

La Slovénie, terre de ses origines, résonnait en lui comme une mélodie lointaine et familière. Son père, si peu connu, était un peu John Wayne, à la conquête de l’Ouest. Et  l’Amérique qui avait accueilli et honoré ce père mystérieux, est restée chère au cœur de Tristan, de son doctorat en mathématiques jusqu’aux dernières missions les plus sensibles auxquelles il a été mêlé : autant de chapitres d’une histoire familiale riche, complexe, qui a nourri sa curiosité et son ouverture au monde.

Brillant, premier en chimie à l’X, l’épreuve réputée la plus difficile, il avait l’esprit scientifique, la rigueur, mais aussi cette passion pour la chose utile, telle la question de l’énergie, et l’écologie, ces enjeux qui le hantaient et qu’il voulait transformer. La Méditerranée, avec ses lumières et ses tempêtes, était aussi un peu son miroir : un espace de contrastes, de crises, de stratégies à inventer.

Qui pourrait oublier ses cahiers, ces pages où le désordre semblait régner, mais où, en réalité, se dessinaient les chemins de sa pensée ? Le mouvement brownien de ses idées, son hyperactivité, cette façon qu’il avait de tout embrasser, de tout connecter, comme si le monde était un vaste réseau à explorer sans fin.

Antoine-Tristan était l’homme aux mille groupes WhatsApp et Telegram, aux antennes toujours dressées, aux secrets parfois gardés, parfois partagés. Il aimait la communication, mais à sa manière, avec ses codes, ses silences, ses éclats de rire. L’Élysée fut pour lui un révélateur, un lieu où sa passion pour la politique a trouvé un terrain d’expression, où il a pu mesurer l’impact de ses idées, de ses engagements.

La religion, la spiritualité, sa vie intérieure : autant de dimensions qui l’habitaient profondément, discrètement. Il portait en lui cette délicatesse, cette attention aux autres, cette générosité qui se manifestait dans les petits gestes, les mots justes, les présences silencieuses. Il avait cette amitié rare, précieuse, qui ne s’étale pas mais qui soutient.

Ses garçons, sa femme, son port d’attache à Versailles : autant de repères, d’amours, de raisons de se battre, de rire, de vivre. Car Antoine-Tristan était aussi un homme de bonne humeur, d’humour, de ces selfies et ces photos qui capturent l’instant, la joie, l’absurdité parfois, mais toujours la vie.

Le Covid, la maladie, se sont emparés de lui, et l’étrangeté de ces épreuves qu’il a traversées avec courage, a montré cette force tranquille qui le caractérisait. Même dans les moments les plus sombres, il gardait cette capacité à surprendre, à toucher, à rassembler.

En 2018, alors que je cherchais à lancer un nouveau lieu de réflexion et de propositions sur le progrès environnemental et le progrès social, PEPS, on m’a présenté Tristan. On pourrait parler d’une entente absolue, d’une amitié sincère, enthousiaste, comme on n’en rencontre peu dans sa vie. Et pourtant ce rapprochement entre nous était fort peu probable, tant nos parcours nous poussaient à l’affrontement. Ces années d’une complicité très productive, sont le signe d’une générosité rare et d’une curiosité singulière. L’intelligence comme boussole, et l’envie d’agir comme moteur.

Aujourd’hui, c’est tout cela qu’on retient : un homme de contrastes, de passions, de loyautés, un esprit libre et engagé, un ami, un frère, un père, un mari. Tristan, tu nous manques, mais tu restes, dans nos mémoires, dans nos cœurs, comme une lumière qui ne s’éteint pas.

Amitié éternelle

* Directrice générale adjointe, Directrice du développement, de la recherche, de l’innovation, et de l’international de Cerema

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Architecte urbaniste générale de l’État, secrétaire permanente du Puca

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