Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

COVID&co.

Méfiance, morosité et lassitude

« La pandémie de COVID-19 ne se résume pas à une simple crise sanitaire : elle a mis à l’épreuve la coopération entre citoyens, gouvernement, et scientifiques… La gestion des crises du XXIème siècle repose avant toute chose sur la confiance entre l’ensemble des acteurs de la société… ». Ainsi s’exprimaient, en octobre 2021,  Yann Algan et Daniel Cohen dans le n°66 des Notes du conseil d’analyse économique, sous le titre : Les Français au temps du COVID : Economie et société face au risque sanitaire. Outre que le bien être des individus semble avoir été plus affecté en France que dans certains pays voisins, il apparaît un fait saillant en France comparé aux pays avancés: la perte de confiance très marquée dans la communauté scientifique.

La France a connu à ce jour trois confinements de finalités différentes.

Le premier confinement du printemps 2020 se voulait une sauvegarde de la santé des Français. Il y est parvenu autant qu’il était possible.  Mais les proches n’avaient pas le droit de venir assister leurs morts. 

Le second confinement à l’automne 2020 s’assurait de maintenir aussi l’activité économique, et la reprise a été au rendez vous. Mais les personnels soignants s’effondraient, s’enfuyaient, burn-out, dépressions, certains gagnaient leur service en larmes, ils quittaient leur service en pleurant, d’impuissance, d’épuisement et de rage. 

Le troisième confinement au printemps 2021s’est surtout préoccupé de la santé psychique des Français, et en particulier celle des jeunes, il a maintenu la scolarité pour ne pas rompre le lien social. Le vaccin était là, mais pas encore pour les jeunes. On y obligera bientôt les soignants réfractaires.

Aujourd’hui, hors séquelles du COVID long,  un Français sur trois se plaint d’être affecté par un syndrome anxieux et dépressif  (article réf. supra). Les qualificatifs les plus souvent cités pour leur vision de l’avenir des Français et leur degré de satisfaction, sont : méfiance, morosité et lassitude.  Cet état psychique apparaît beaucoup plus dégradé que dans les pays voisins, Allemagne, Italie, Royaume Uni. Ce phénomène surgit, totalement inédit par référence aux précédentes épidémies virales. Et pour cause. Il n’avait jamais été évalué. Personne ne se souvient de l’épidémie de virus asiatique de 1954, pourtant en proportion tout autant meurtrière que le COVID, encore moins de l’épidémie de virus de Hong Kong de l’hiver 1969-1970, dont personne n’a parlé. On toussait, on mouchait, on mourait, et la vie continuait. On empilait les corps dans les couloirs du métro et dans les arrières salles de réanimation. 

D’ailleurs eût-on effectué ces enquêtes, pas nées à ces époques, qu’en aurait on conclu ? Après la grippe espagnole, les séquelles psychiques auraient été attribuées à la boucherie de la Grande Guerre. En 1954, après le discours de l’abbé Pierre, aux rigueurs extrême de l’hiver qui tuait de froid les nouveau-nés.  En 1969 peut être à la mort politique de De Gaulle, ou au début de la fin des trente glorieuses. Ou peut être que quand le sage pointait du doigt le virus, l’idiot regardait la lune où venait de se poser Neil Armtrong.

Surtout de ces épidémies personne ne parlait. En 1917 la censure militaire l’interdisait. En 1954 la télévision vagissait à peine. En 1969 le ministère de l’Intérieur contrôlait la chaîne unique officielle. L’épidémie n’a eu droit qu’à quelques lignes dans les pages intérieures de rares journaux, tous populaires.

De l’information en continu

Pour le COVID de 2020 la parole au contraire a déferlé, les chaînes d’information continue ont submergé la perception consciente, et les consciences. Ce qui pose la question du rôle, dans la genèse des troubles anxieux et dépressifs, de l’information, de l’information officielle, crucifiée entre l’obligation d’informer et le souci de ne pas paniquer, tout comme le rôle de l’information commerciale.

Au printemps 2020, à l’orée de la première vague, il la été vivement reproché à la direction générale de la santé, la DGS, de déprimer les Français avec la sinistre litanie, l’égrainage des décès et des admissions en réanimation. La chloroquine faisait débat, la vaccination n’existait pas. Néanmoins personne n’était forcé d’écouter.

Au contraire pour les masques, le gouvernement s’est cru, pour rassurer, obligé de biaiser, il n’y en avait pas, force était alors de prétendre qu’ils ne servaient à rien. L’OMS d’ailleurs ne les recommandait pas encore en population générale. Manquaient aussi, et encore aujourd’hui, les preuves scientifiques de leur utilité. Malgré tout le premier confinement a été perçu comme une mesure de nécessaire protection, le moral des Français             a remonté, pour un temps, puis il s’est effondré ensuite, avec son lot de dépressions, à la  perspective du second confinement.

Pendant ce temps les chaînes d’infos continues s’en sont donné à cœur joie. Elles ont pulvérisé la confiance, l’équilibre psychique, des Français. Chacun y est venu exprimer son avis, pertinent ou, le plus souvent, totalement incompétent. La parole des experts s’est noyée dans le croassement du marigot médiatique. Qui croire ? L’austère chef de service de réanimation ou le m’as-tu vu des écrans, le professionnel des plateaux, le chouchou des micros à qui les lunettes de couleur, la chemise déboutonnée ou le triple tour de keffieh conféraient tout soudain des lumières en épidémiologie, en virologie ou en santé publique? 

Alors la confiance des Français en la science s’est effondrée, à un niveau catastrophique, exactement en même temps que leur confiance dans les mesures gouvernementales. Elle a miné leur efficacité, science et gouvernance allant de paire, leurs autorités se conjuguant. La féminisation du virus n’a pas opéré de son charme pour cicatriser les blessures psychiques.

Certes certains scientifiques institutionnels n’ont pas compris combien cette crise était inédite et qu’il y fallait de l’audace. Mais il faut rester sourd et aveugle pour ne pas admettre que la science y a réalisé des prodiges. Voyez avec quelle vitesse le gène du virus a été décodé. Avec quelle vitesse se sont adaptés les soins de réanimation : l’oxygénation transmembranaire à haut débit, les traitements anticoagulants, la déxaméthasone, les anticorps monoclonaux…Le taux d’admission en soins intensifs a chuté, la mortalité aussi, de 30%. La mort  frappe surtout les non vaccinés. Car voilà aussi le miracle de la science: la vitesse avec laquelle se sont développés les vaccins, classiques à virus atténué, et surtout à ARN messager, stupéfiante conjonction de compétence et d’intelligence.

L’adhésion de la population à la vaccination est, curieusement ou non, corrélée au taux de pauvreté des collectivités territoriales chargées de l’organiser, mais  aussi au taux d’absentéisme électoral. Ne pas participer à la vie politique et ne pas adhérer à la politique de vaccination sont les deux versants d’une même question que l’obligation du passe sanitaire n’a qu’en partie résolue.

La science malgré tout n’est pas omnipotente, elle ne représente pas l’alpha et l’oméga. La preuve : le delta plane, l’omicron nous menace, il nous met la nouvelle vague à l’âme. Pas bon pour le moral.   

 

Jacques Milliez est médecin, membre de l’Académie nationale de médecine.       

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Médecin, membre de l’Académie nationale de médecine

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