Dysphorie identitaire, l’être pris au piège du paradoxe
Pablo Votadoro
Dr Pablo Votadoro, pédopsychiatre, phD, IMM
Mai 2023, le journal The Economist titre sur la mise à jour d’un lien entre l’augmentation des tentatives de suicide chez les jeunes filles et l’usage des smartphones. Cette mise en cause des réseaux sociaux pourrait s’étendre aux questionnements identitaires tels qu’ils s’expriment aujourd’hui à l’adolescence et la souffrance que cela procure. La question se pose. La coïncidence des deux phénomènes sociaux nous conduit à postuler l’hypothèse d’une affinité élective entre des déterminants afférents à l’être dans la société, et une modalité d’exister dans un espace social. Leur rapprochement pourrait permettre d’isoler une série de complexes qui travaillent les sociétés libérales et démocratiques, à savoir, le libre arbitre et les conditions du consentement. Nous procèderons en trois questions.
Les questionnements identitaires chez les adolescents sont il nouveaux ? Ou plus précisément sont-ils une nouveauté ?
Depuis qu’elle existe, l’’adolescence est le moment identitaire par excellence. Le formatage identitaire serait intrinsèque aux rites de passages encadrant la transition entre la référence familiale qu’il faut quitter et le groupe des adultes, qu’il faut intégrer.
L’identité serait définie par l’organisation sociale comme la distribution des rôles, des croyances et la perpétuation des singularités du groupe.
On peut penser que la véritable nouveauté serait de se fonder sur le paradoxe qui lui donne l’allure de symptôme. Ce dernier étant une réponse paradoxale à un véritable problème psychologique, en termes affectifs, moraux, ou de désirs. L’école de Palo alto a postulé que la psychose avait sa source dans les attentes paradoxales de la famille, poussant le sujet à des réponses folles.
Mais le paradoxe dont il est question ici ne provient pas d’une construction strictement individuelle, il procède des injonctions paradoxales que reçoit le sujet.
Dans 1984, Orwell imaginait le « ministère le la paix » pour faire la guerre, puis un ministère de la « vérité » pour réinventer l’histoire. Déjà en 1929 Propaganda de Edward Bernays, neveu de Sigmund Freud invente un « arts de manipuler l’opinion en démocratie ». La parenté avec le père de la psychanalyse n’a rien d’anecdotique, puisque c’est en concevant l’individu comme un être psychologique, animé par de désirs, que ce penseur de la propagande a conçu les principes de l’influence de la masse.
Dans le champ de la communication, le paradoxe est un recours pour contrôler autrui. Cela se passe dans la publicité, dans la politique[1], ou bien encore dans le recours au « nudge »[2] dans les programmes de la gestion pratique des individus.
Le paradoxe est utile pour paralyser la pensée et mieux manipuler. C’est d’ailleurs un problème dans une société fondée sur le libre arbitre. Quelle liberté peut-on espérer quand on se trouve sous l’emprise d’un « pervers narcissique manipulateur » ? Problème largement débattu, que ce soit dans l’accusation de l’emprise perverse, ou bien dans les conditions morales du consentement.
Dans cet univers de paradoxes, naissent des identités imprégnées de contradictions:
L’injonction publicitaire à faire ce que l’on désire : « just do it », ou à la liberté « break free », sont des paradoxes logiques, puisqu’en obéissant ils conduisent à répondre aux attentes d’un autre et donc à faire le contraire. En piégeant la pensée critique, elles invalident la réalité, comme déterminant majeur des possibilités d’obéir. C’est le cas dans le management fondé sur les objectifs.
Au niveau identitaire, cela suppose qu’on décide de son identité en dépit de ses déterminations sociales ou biologiques, la réalité renvoyée à une virtualité.
Les échanges par les réseaux sociaux participent ils d’une redéfinition de l’identité ?
Les réseaux sociaux, constituent actuellement le canal principal pour les « influenceurs », d’influer sur les jeunes consommateurs « influençables ». Plus largement, le flux constant d’images, de corps, de visages qui se mettent en scène, et se donnent à voir, impose une apparence normée qui a un effet sur l’uniforme que s’imposent les adolescents entre eux. Le selfie est sans doute moins un miroir, qu’une définition sociale de soi. Le souci est la captation imaginaire dans laquelle le sujet se trouve pris au piège, celle d’un corps imaginaire, devenu carte de visite, voire identité. Entre la sacralisation de l’image du corps et la bonne parole, l’individu occidental hésite depuis 2000 ans à savoir comment accéder à une vérité transcendantale. Avec les réseaux sociaux, l’image du corps a trouvé la manière de s’imposer à autrui, la reproduction a écrasé le réel au profit du virtuel.
Le biologique du corps s’est dissous dans l’image.
Assiste-t-on à l’apparition de nouvelles souffrances identitaires ?
L’identité s’est beaucoup développée au États-Unis à l’interface du psychologique et du social, comme le point d’équilibre entre l’individualisme et un collectif multiculturel[3].
Elle se construit psychologiquement par identification à autrui, (similitude ou en opposition) d’abord à des modèles parentaux, puis aux modèles fournis par la culture. Il ne s’agit pas d’un choix, mais d’une nécessité imposée par le besoin de se différencier de la famille et celui de se mouler aux injonctions sociales pour s’intégrer à la vie adulte. Avec la puberté, c’est autour du corps que se jouent ces opérations, un corps sexualisé, un corps devenu étranger, mais alors un corps à modeler suivant les valeurs du groupe social. L’adolescent est en transition.
Seulement, quand les modèles prennent pour référence le corps imaginaire, c’est autour de l’apparence du corps en image que s’affirme l’identité[4].
La question de la dysphorie de genre[5], résume ces problématiques. D’un point de vu psychologique, elle recompose la difficulté à faire avec une sexualité infantile marquée par des carences, abus émotionnels et sexuels en rapport avec la paradoxalité[6]. Comme le symptôme, il se construit sur la réponse sociale. Or, on note qu’au même moment, dans les lycées et collèges parisiens on accepte de modifier le prénom des élèves, et tacitement de mutiler leur corps, validant la possibilité de consentir à l’argument « trans », tandis qu’en banlieue il est interdit de porter le voile et l’Abaya, déguisement identitaire, au prétexte de l’impossible consentement.
La réponse renforce le paradoxe d’une biologie virtuelle qui devrait se conformer à l’image validée socialement, rapprochant le sujet de l’identité et l’éloignant de lui-même.
[1] Le f « en même temps » pourrait en être un des avatars quand dans le même temps sont menés deux politiques qui s’opposent.
[2] « nudge » est une incitation douce à faire ce qui ne va pas forcément dans son intérêt.
[3] L’identité défendue au nom d’un collectif ayant une culture commune.
[4] La chirurgie esthétique et tatouages seraient des modes d’appropriation du corps, célébrant la liberté individuelle de pouvoir consommer.
[5] Ou de non conformité de genre
[6] Expliquant la forte représentation statistique des adolescentes.
Pédopsychiatre, phD, IMM
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