Le Pont

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Gaz en Europe : un mensonge sur le gaz masque l’échec de la régulation

Face à l’enjeu climatique, le constat est clair. Dans le domaine énergétique, la politique européenne n’apporte ni la paix ni la prospérité. La promesse générale du projet européen est doublement trahie.

La paix n’est pas au rendez-vous. Pas seulement en raison de la guerre menée par la Russie, mais aussi dans le domaine de la paix avec la nature : la réduction des émissions carbonées reste un vœu sans réalité. Sans oublier l’autre promesse, la prospérité, qui vise un accès à l’énergie à un prix raisonnable pour tous les consommateurs/citoyens européens.

L’Europe ne livre aujourd’hui ni l’un ni l’autre de ces promesses. La dépendance gazière à la Russie finance la guerre, les émissions carbonées ne baissent pas, les coûts de l’énergie explosent et les marchés ont perdu la tête.

Tout ceci devrait conduire à une remise en cause de la régulation européenne. Et pourtant le déni se met en place : la guerre en Ukraine permet une diversion pour expliquer la hausse des prix. L’Europe ferait face à un choc exogène imprévisible et inéluctable comparable aux deux chocs pétroliers des années 1970.

Démasquer cette manipulation nécessite un peu de mémoire.

Certes, la comparaison du choc gazier actuel en Europe avec les chocs pétroliers est tentante car ses effets ont des points communs : multiplication brutale du prix de gros par un facteur 6 aujourd’hui pour le gaz alors qu’on avait connu la multiplication du prix du baril par 4 puis 10 dans les deux chocs pétroliers, impact sur l’inflation et le pouvoir d’achat, tension sur les monnaies, aujourd’hui affaiblissement de l’euro.

Mais constater que les effets sont analogues ne nous apprend rien sur les causes et les contextes idéologiques qui sont différents. Le choc pétrolier mondial s’inscrivait dans le mouvement historique de décolonisation. Il a été porté par l’expropriation des compagnies pétrolières occidentales par les nouveaux États souverains, sur fond de guerre en Israël comme détonateur. Ce choc mondial, totalement exogène et hors de contrôle des européens, n’avait finalement pas compromis la domination américaine (relance de l’activité pétrolière aux USA, création du marché pétrolier mondial en dollar sous la protection américaine).

Aujourd’hui la chronologie des éventements de détonation est inverse.

La hausse des prix du gaz en Europe est antérieure à la guerre en Ukraine. Si détonateur il y a, c’est la hausse des prix de l’année 2021 quand les acteurs de marchés ont pris conscience du déséquilibre structurel entre l’offre et la demande du gaz en Europe. Les causes de la guerre de 2022 en Ukraine sont évidemment d’une autre nature, même si le contexte économique exceptionnellement favorable a placé Poutine dans une position de force économique au moment de mener la guerre. Mais Gazprom livre et continue de tenir ses engagements commerciaux et le marché est approvisionné comme si la guerre n’existait pas.

Revenons au marché du gaz. Une telle hausse des prix ne se rencontre ni en Asie ni aux USA. Il s’agit donc d’une crise cantonnée à l’Europe, limitée au gaz. Imputer la hausse à la guerre apporte de la confusion et résulte soit d’une erreur d’analyse ou, plus grave, d’un mensonge visant à protéger la réputation de la régulation énergique.

 L’Europe fait face en réalité à une crise de la régulation européenne, telle qu’elle est mise en œuvre depuis 20 ans depuis l’acte Unique et Maastricht.

 Cette crise se déroule sur fond général de complaisance et d’incompréhension des systèmes énergétiques, une complaisance qui vise à croire que la réduction de la demande en fossile va suivre les objectifs affichés au niveau politique. On a présenté des vœux comme s’il s’agissait de plans. Cette illusion conduit, par exemple au nom de la finance verte, à réduire plus vite les projets pétroliers que les consommateurs ne réduisent leur demande. Le risque est de voir les financiers tomber dans un piège tendu par certains écologistes. Comme si les messages habituels d’une transition énergétique sans délai et sans effort pouvaient être pris au sérieux. Le réel finit par s’imposer et, dans le cas présent, le sous approvisionnement structurel en gaz à apparaître.

Le choix fait par l’Union européenne du pilotage énergétique par les acteurs du court terme a offert quelques années favorables aux traders et acheteurs de gaz mais la situation s’est inversée. L’Europe importe le gaz à un prix trop fois plus élevé que si la régulation n’avait pas été mise en place et si la politique traditionnelle menée avec succès pendant des décennies par GDF, Ruhrgaz, etc. avait été poursuivie.

Et l’Europe va durablement subir le coût des destructions mais aussi les conséquences de son imprévoyance gazière. Les financiers ont déjà intégré cet appauvrissement de l’Europe par une baisse de l’euro sur le dollar.

Recourir au mensonge comme tactique de défense conduit à masquer l’échec de la régulation.

Mais passer du déni à la lucidité ne suffit pas. Aujourd’hui, aucune doctrine alternative n’émerge pour élaborer un consensus politique basé sur de nouvelles idées. La crise actuelle offre une occasion exceptionnelle de revoir les fondamentaux du gaz et de l’électricité en Europe.

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Ingénieur général des Mines

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