Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Immigration, le grand déni selon François Héran*

Voici un thème lancinant qui a pourtant fait figure de tabou, tant il est clivant (comme on dit aujourd’hui) et vaut à ses promoteurs des accusations de lepénisme et autres stigmates contemporains, comme fascisme ou extrême droite. Nul ne peut espérer y échapper, s’il lui prend l’envie de s’occuper de la présence réelle des étrangers dans l’hexagone. Mais avec le présent ouvrage, les choses se présentent autrement, le sérieux de l’auteur l’atteste. Pas d’extrémisme mais une attitude lénifiante, des principes humanistes qui font penser à une naïveté de bon aloi…

Avant de parler du fond, je dois dire que l’introduction bien documentée mais décidément pro-immigration, déçoit. Les décisions politiques doivent être claires et insubstituables. Je veux dire que le thème de faire avec ou du vivre avec est tout sauf satisfaisant. Et là, on a l’impression que l’auteur (c’est son droit) opte pour une plus grande ouverture, un meilleur accueil des étrangers, au motif que, selon lui, l’immigration est obligatoire, incontournable ce serait presque un droit qu’ont les êtres humains d’aller où ils veulent, de se rendre partout sur notre planète. Et il déroule une série de mesures qui vont agir comme des pompes aspirantes au lieu d’être de bons facteurs de dissuasion. Depuis le regroupement familial des années 70, l’immigration de toute une population du sud a considérablement augmenté. Pour l’auteur, c’est presque une loi d’airain contre laquelle on ne peut rien. Il critique les notions de continuité historique ou de grand remplacement selon lesquels les Français doivent accepter les nouveau-venus tels qu’ils sont. Or, c’est justement là que le débat blesse. La France, c’est vrai, s’est, au cours de sa longue histoire, considérablement enrichie des apports de l’étranger… Il suffit de feuilleter une liste de professeurs au Collège de France, pour comprendre qu’une grosse partie de ces effectifs scientifiques, de ces Prix Nobel et d’autres célébrités, sont venus en France de l’extérieur. Nous n’en disconvenons pas. Mais il faut appeler un chat un chat ; même si nous ne sommes pas des spécialistes de cette question controversée, nous relevons que l’intégration de plusieurs dizaines de milliers de migrants ukrainiens n’a posé le moindre problème alors que des partis politiques bien connus sonnent le tocsin devant la recrudescence des immigrants venus du sud et porteurs d’une culture extra européenne. C’est, semble-t-il, le fait que ce sympathique petit ouvrage feint d’ignorer. Le judéo-christianisme de ces Ukrainiens facilite grandement leur insertion, ce qui n’est pas le cas des populations d’Afrique noire ou d’Afrique du Nord. C’est le nœud du problème. Je ne dis pas que c’est absolument juste ou justifié mais on ne peut pas ignorer ce mouvement d’opinion qui demande à cor et à cri un moratoire pour stabiliser la situation et tenter d’insérer le moins mal possible le gens qui se trouvent sur le territoire. De plus en plus de citoyens français quittent certains départements pour manifester leur arrachement à leur socio-culture francise. Je ne donnerai pas d’exemples précis mais ils sont nombreux. Certaines banlieues, certaines régions même, sont touchées et leurs habitants se rappellent à notre bon souvenir à chaque consultation électorale… L’auteur consacre lui aussi tout un chapitre à la croissance exponentielle de l’immigration depuis 2000.

On se pose la question : pouvons-nous continuer sur notre lancée ? Pouvons-nous continuer à laisser faire alors que la candidate du Rassemblement national a manqué de peu l’élection à la présidence de la République et qu’on l’a dit bien placée pour 2027…

La démographie est une arme dans certaines situations : que des Français dits de souche quittent leur lieu de résidence parce que le voisinage n’est plus ce qu’il était, est un avertissement. Certaines données sont devenues des secrets d’État ; le nombre d’étrangers en France, le nombre de Français de naissance, de natifs en dehors du territoire national, et une multitude d’autres situations où l’on atteint plus de dix pour cent de la population.

Mais l’essentiel n’est pas là : ces nouveaux-venus sont-ils prêts à s’identifier à l’histoire et aux mœurs de notre pays ou préfèrent-ils vivre et se conduire comme ils le faisaient avant leur arrivée ? Il existe au moins trois critères qu’un penseur libanais maronite a théorisé pour obtenir une immigration réussie :

  1. Le rejet de tout exclusivisme religieux. Nul ne peut imposer sa propre religion aux autres au motif qu’elle serait la meilleure.
  2. La femme est strictement l’égale de l’homme. Elle a les mêmes droits et les mêmes libertés. Elle peut exercer la profession qui lui plaît.
  3. Enfin la critique textuelle des textes sacrés comme l’ont fait les juifs et les chrétiens avec la critique biblique depuis des siècles en Europe et ailleurs dans le monde.

On est loin du compte. Il faudrait que les migrants ne soient pas motivés par de simples attraits de bien-être et du mieux vivre dans leur nouvelle vie, il faut s’ouvrir aux valeurs de la France, à la volonté de s’assimiler ou, au moins, à s’intégrer. On le voit, ce n’est pas ce qui se passe puisque l’immigration n’accomplit pas son effet, comme le montrent les débats autour du foulard islamique, le refus de leçons sur la Shoah, des cours d’éducation physique pour les filles, et tant d’autres choses que le législateur français qualifie de séparatisme, au point de faire voter des lois sur tous ces sujets.

J’ajouterai, pour ma part, un peu d’amour de la France. Par exemple, les juifs bénissent dans leurs synagogues chaque samedi matin, la République française et le peuple français. Comme cela est recommandé dans le chapitre 31 de Jérémie au sujet de tout autre pays qui se dit prêt à leur donner un refuge chez lui. Ce chapitre du prophète Jérémie a été qualifié de charte d’Israël en exil, et c’est aussi une excellente formulation des relations idéales entre les peuples.

Dans cette recherche d’un équilibre, il ne faut pas perdre de vue que certaines forces politiques parlent de tsunami et de submersion. Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui et peut-être demain, doivent en tenir compte.

J’avoue ne pas être impressionné par les graphiques et les figures comparatives de ce livre ; par contre, des chiffres concernant le nombre d’étrangers qui entrent chaque année dans le pays, retient mon attention. Ils seraient entre 200 000 et 140 000. Pourquoi un tel différentiel, la réponse de l’auteur ne m’a pas convaincu. Ce qui compte dans cette affaire, c’est l’effet produit sur la population que certains poussent à voir dans l’immigration une véritable submersion pouvant un jour conduire à la disparition de la culture européenne. Mais il y a cette affirmation récurrente selon laquelle on ne peut rien faire contre cette vague migratoire qui affecte non seulement la France mais l’Europe, voir le monde entier. Et quand cette même vague se tarit, c’est dû aux sources des tous ces pays et non à des mesures prises par les gouvernements occidentaux. C’est peu rassurant.

Méthodiquement, l’auteur déconstruit ce mythe, ce déni, selon lequel la France aurait pris plus que sa part dans l’accueil des réfugiés ou dans l’octroi de l’aile à des milliers et des milliers de déplacés, contraints de quitter leur pays en guerre ou en butte à d’autres calaminés naturelles ou économiques. Et là, chaque fois, l’auteur compare la situation de la France pour mettre en avant la générosité allemande. C’est vrai mais il faut ajouter un détail : d’abord, l’Allemagne ne parvient plus à renouveler la population vieillissante du pays, pas d’excédent des naissances… Mais le plus important est que notre puissant voisin avait besoin de bras pour maintenir son industrie en marche. Le patronat allemand avait alerté la chancelière Merkel sur ce danger et incitait à accueillir le plus de réfugiés possible. C’est bien mais il faut aussi jeter un œil sur les réelles motivations de cette politique.

Enfin, le droit d’asile et ses déboutés qui continuent de vivre sur le territoire national dans l’attente d’une régularisation à venir. L’auteur rappelle que la France a accueilli sans problème plus de 100 000 Ukrainiens mais oublie de dire pour quelles raisons cela se passe bien, sans anicroche… Certes, il y a un déni de l’immigration de la part des penseurs de l’extrême droite, mais il faut aussi signaler ceux qui ne veulent pas tenir compte de la sensibilité réelle du pays profond. Il est loin le temps où la France, pays des droits de l’homme, accueillait généralement toute la misère du monde. Tant de secteurs du pays sont dans un triste état, sans qu’on vienne à leur secours, comment d’occuper des autres, même il est du devoir de l’être humain de se porter au secours de ceux qui souffrent ?

Au fond, nous faisons face à un cas de conscience : suis-je le gardien de mon frère ? Oui, nous devons être les gardiens de nos frères, mais tout en tenant compte de ce que cela implique ; si quelques propagandistes zélés souffrent de ce que l’auteur nomme le déni de l’immigration, il faut aussi les écouter. L’unilatéralisme n’est pas bon ici, or l’auteur a cœur de signaler ce qui parait être une mauvaise appréciation de la situation par Marine Le Pen ou par Éric Zemmour. Ce n’est pas l’objectif d’un livre conçu selon les normes légitimes de la critique. Et cette attitude touche tous les domaines, comme par exemple le nombre précis de titres de séjour octroyés chaque année. Là, les divergences sont considérables.

Je ne sais plus comment conclure cette critique d’un livre que j’avais commandé mais dont je ne devinais pas le contenu : d’un côté il faut tenir compte de la volonté du peuple français en réduisant drastiquement l’entrée sur le territoire, et d’un autre côté il faut se porter au secours d’autrui. Quant à l’errance et à la migration, notre patriarche Abraham a passé le plus clair de son temps à aller d’un pays à l’autre, offrant l’hospitalisé à tous les hôtes de passage. Mais nous n’en sommes plus là. Les rapports de force, les guerres, les invasions, les conflits politiques ou religieux, tout cela doit être pris en compte.

Mais je me suis toujours demandé pour quelle raison les états arabes du Moyen Orient n’accueillaient pas, à bras ouverts, leurs frères persécutés ou maltraités. Espérons que les choses finiront par se calmer.

Je ne partage pas l’orientation générale de cet ouvrage, mais il m’a beaucoup appris. Je tiens à lui en rendre hommage.

 

François Héran, Immigration ; le grand déni. Le Seuil, 2023

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