Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

La libération des otages, un devoir sacré dans la tradition religieuse juive.

Une table de Shabbat montrant les places vides laissées par les otages. Octobre 2023.

En ces temps troublés où tant d’horreurs s’abattent sur nous, dans le monde entier, une référence académique m’est revenue en mémoire. En voici le cadre qui remonte au tout début des années quatre-vingts, lors de la publication en Belgique aux éditions Peteers, des Mélanges offerts à Georges Vajda, le grand maître des études juives en France. Dans ce volume comptant plus de 500 pages, édité par Gérard Nahon et Charles Touati, on peut lire une excellente étude en anglais, Maimonides, man of action (Maimonide, homme d’action).

Connaissant ma proximité à mon maître auquel je dois absolument tout, Charles Touati m’avait prié de rendre compte de ce volume de Mélanges pour la Revue des Études Juives qu’il coéditait avec Gérard Nahon. J’ai rédigé un long compte-rendu qui fut publié dans la Revue des Études Juives.

Shlomo Dov Goiten (1900-1985), l’auteur de l’ouvrage classique consacré à la société méditerranéenne, a contribué à ce volume en parlant de Maimonide, en sa qualité d’homme d’action. Goiten, on se le rappelle, avait largement puisé dans la Gueniza du Caire et il avait découvert des informations présentant Maimonide comme un facteur actif et plus uniquement penché sur ses manuscrits et les folios talmudiques… En somme, tout le contraire d’un savant reclus dans sa tour d’ivoire mais un citoyen, membre d’une communauté ethnique et religieuse, pour laquelle il a su se mobiliser. Je rappelle que c’est grâce à un manuscrit autographe de Maimonide que nous savons que le grand maître a vu la lumière du jour, non pas en 1135 mais en 1138…

Goiten a montré, à l’aide d’un manuscrit de cette même Gueiza, lieu dédié à l’entrepôt de vieux rouleaux de la Tora, que Maimonide avait chargé deux membres de sa communauté cairote d’organiser une collecte d’argent dans toutes les implantations juives de la région ou du pays. Cette somme d’argent devait permettre de libérer des coreligionnaires capturés par des pirates ou simplement arrachés à leurs familles. Cela pouvait aller jusqu’à l’apostasie.

Ce qui m’intéresse ici, c’est le contenu des lettres de créances, rédigées par l’auteur du Mishné Tora et du Guide des égarés, et remises entre les mains des deux délégués à la collecte d’argent. Maimonide s’adresse aux communautés que ses envoyés allaient solliciter en leur rappelant que la mobilisation en faveur de la libération d’otages ou de captifs est un devoir sacré. Que si nous n’agissions pas, nos frères juifs risquaient d’être convertis de force à une religion autre que la religion d’Israël. Ce serait alors, si l’on n’agissait pas avec la célérité nécessaire une profanation du Nom divin (hilloul ha-Sjem). Si les captifs et les otages quittaient la communauté d’Israël, suite à’ l’inaction ou à l’incurie de leurs frères, ces derniers seraient un jour appelés à rendre des comptes. Devant le tribunal céleste

Dans cette missive signée de sa main, le grand philosophe souligne la probité, la fiabilité et la bonne moralité de ses envoyés. Ces délégués vertueux ne détourneraient pas l’argent reçu, il sera remis aux geôliers des captifs afin d’obtenir leur libération.

Cet acte de Maimonide l’accrédite comme un homme d’action qui a su se mobiliser pour ses convictions religieuses. Il ne s’est pas défaussé sur d’autres membres de sa communauté, mieux préparés que lui-même à ce genre de coopération. Il a pris les choses en main et mis à profit sa célébrité pour une noble cause.

Sans chercher le moins du monde à minimiser la grandeur du geste de Maimonide, il faut rappeler que ce type d’action figure en bonne place dans les devoirs de solidarité de toutes les communautés juives de par le monde, depuis au moins l’époque talmudique. On y trouve maintes mentions de ce genre d’affaires et la mobilisation des fidèles pour se porter au secours de leurs frères arrachés à l’affection de leurs familles.

Mais ce texte de Goiten est peu ou prou connu, hormis des cercles de spécialistes. En plus de l’immense richesse que constitue la Gueniza du Caire, l’une des plus importantes au monde, il faut souligner que ce devoir du rachat des captifs ou des otages est sacré. L’État d’Israël ne déroge pas à la règle. Il y a peu d’années, l’état juif a échangé plusieurs centaines de prisonniers pour obtenir le retour d’un de ses soldats…

 Certes, il agit sur un plan à la fois politique et militaire puisqu’il dispose de forces armées, contrairement aux communautés juives, jadis livrées pieds et poings liés à leurs persécuteurs, mais l’origine de ce devoir n’en demeure purement religieuse. C’est un cas intéressant de reprise d’un devoir sacré devenu une obligation nationale.

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