Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

La nouvelle Allemagne : le contrat de coalition CDU-CSU-SPD

Ce contrat a été conclu et diffusé avant Pâques comme annoncé. C’est le pacte de gouvernement de la coalition qui sera voté début mai au Bundestag où les trois partis ont la majorité des sièges. Il n’est guère possible de résumer les 144 pages du document, qui contient plus d’une centaine de mesures plus ou moins importantes et détaillées et de très nombreuses préconisations et actions à réaliser. Aussi je me concentrerai sur ce qui parait important pour la France et l’Europe.

Le texte comprend un préambule et 6 chapitres. Le tout est très centré sur l’Allemagne, alors que les programmes des gouvernements précédents accordaient une part majeure à l‘UE. On le voit dès le titre : « Responsabilité pour l’Allemagne ».

En thèmes transversaux, la rénovation et la modernisation des infrastructures sont répétées partout, la débureaucratisation est invoquée à chaque page, et la digitalisation (numérisation) doit être faite partout. Tout cela permettra de grandes économies compensant les dépenses nouvelles. Beaucoup de mesures figuraient déjà dans les pactes de gouvernement précédents, il faut donc les poursuivre comme par exemple pour la famille et la natalité. Pour bon nombre de mesures il est signalé qu’elles ne sont pas en accord avec les directives de l’UE, alors l’Allemagne doit faire modifier ces directives, et si elle n’y arrive pas elle ne les appliquera pas. On est frappé que dans tout le pacte l‘Allemagne agit seule, on ne parle qu’à la fin de propositions pour l’UE.

 

Préambule

L’Allemagne peut maitriser toutes ses tâches, ses devoirs et ses objectifs avec ses seules forces pour obtenir sécurité, stabilité et cohésion. Cette coalition des 3 partis du centre veut consolider l’économie sociale de marché, promouvoir l’innovation, diminuer la bureaucratie, conserver une industrie forte, et soutenir le Mittelstand (entreprises de taille moyenne) et les métiers (artisanat). Il faut aussi renforcer la Défense et la dissuasion (y compris un soutien accru à l’Ukraine). Il faut accroitre l’efficacité de l’Etat par la numérisation des procédures et des activités, par la débureaucratisation et par l’amélioration des infrastructures, et assurer une cohésion sociale. Il faut organiser une immigration limitée et ordonnée, en fonction des besoins de main d’œuvre. La performance et les efforts des personnes doivent être reconnus et payés. Il faut investir dans les écoles tout en respectant les différentes religions. 35 ans après la réunification on constate que les Länder de l’est ont fait des transformations remarquables mais il faut encore les aider.

 

Le chapitre 1, intitulé une nouvelle croissance, du bon travail, des efforts ensemble, montre la priorité donnée à l’économie. L’Allemagne doit rester un pays industriel et renforcer encore son Mittelstand. La part de l’industrie doit même encore augmenter dans le PIB. Pour rendre le pays plus attractif, la croissance annuelle doit dépasser 1%, on va baisser les impôts et le prix de l’énergie, accroitre l’innovation et les investissements et décarboner l’économie. On va aussi simplifier la création d’entreprises, réduire la bureaucratie, diminuer les formulaires et rapports administratifs et les numériser. La plupart des contrôles systématiques seront supprimés, on procèdera par des contrôles aléatoires en renforçant les sanctions contre les fraudeurs. Pour les investissements nécessaires aux innovations et à la transformation numérique, un fonds budgétaire de 10 milliards d’euros sera créé, s’ajoutant aux fonds des Länder, et on espère monter à 100 milliards avec l’apport de fonds privés.

Pour faire baisser les prix de l’énergie, on va renforcer et optimiser les réseaux électriques, développer des réseaux d’hydrogène (de l’hydrogène vert qui devra être importé pour une part), faciliter le stockage de CO2. L’Allemagne doit continuer à produire de l’acier, on va donc soutenir les aciéries et le recyclage, et plus généralement l’économie circulaire. Des mesures sont prévues pour développer encore plus la chimie, l’industrie pharmaceutique, les biotechnologies, et la micro-électronique. L’industrie automobile est clé pour l’Allemagne, sa croissance sera soutenue notamment pour les véhicules électriques, mais sans limiter les autres[1]. Des mesures de soutien sont prévues pour les industries de défense, l’aéronautique et le spatial, les ports et la construction navale.

L’économie sera confortée par le commerce international. Des accords de libre-échange sont prévus avec le Mercosur, le Mexique, le Brésil, la Colombie, et espérés avec le Canada et les Etats Unis. On va accroitre le commerce avec les pays africains. L’Allemagne aura sa propre stratégie en plus de celle de l’UE. En même temps il faut renforcer les sanctions contre la Russie. On donnera priorité aux matières premières de l’UE et au recyclage. Il faudra protéger le commerce de détail contre les excès des importations et de l’e-commerce. Par une politique régionale on soutiendra les Länder plus faibles et les régions affectées par les évolutions de l’industrie (par exemple la fin des exploitations de lignite en 2038).

Au plan du travail, pour assurer une main d’œuvre suffisante des mesures incitatives seront prises pour les femmes et les seniors (y compris un retour au travail après la retraite). Et on veillera à une immigration dirigée vers des gens qualifiés. On cherchera à garder les bons étudiants étrangers formés en Allemagne. Des mesures seront prises pour encourager la natalité.  On simplifiera et regroupera les prestations sociales, et on poursuivra les fraudeurs et le travail au noir.

Les investissements dans les infrastructures, la construction et le logement seront fortement accrus et facilités. On accélérera les procédures d’autorisation. On améliorera les routes et autoroutes. On augmentera fortement le financement du rail et son électrification. On veut réduire le transport par très grands camions. On améliorera le transport fluvial et les ports intérieurs. On réduira les taxes et les impôts sur le transport aérien.

Pour le climat et l’énergie, l’Allemagne vise la neutralité climatique (en CO2) en 2045 grâce aux innovations technologiques. Il faudra s’appuyer sur toutes les énergies renouvelables, notamment développer la géothermie et les réseaux de chaleur. On prévoit de construire 20 GW de centrales à gaz pour 2030, on veillera à conclure des contrats de gaz avec des pays sûrs. On travaillera sur l’efficacité énergétique dans tous les domaines industriels et de constructions.

Pour les terroirs et l’agriculture, on veillera à protéger l’environnement et à fournir une alimentation saine. Il faudra protéger les rivières, les Alpes, les mers (il y a encore beaucoup de munitions de guerre à neutraliser dans la mer du nord et la Baltique). On va augmenter la production de fruits, légumes et vins. Il faut protéger les consommateurs, et aussi les troupeaux (la chasse aux loups sera autorisée).

 

Le chapitre 2 allègements efficaces, finances stables, Etat performant  souligne la priorité donnée aux équilibres financiers. On répète la baisse des impôts sur les entreprises. On accroitra la lutte contre le blanchiment d’argent. On incitera à développer les paiements numériques. Des règles budgétaires solides seront établies. On vérifiera si toutes les tâches dévolues à l’Etat et toutes les subventions sont utiles et nécessaires. Ainsi les dépenses de l’Etat devront être diminuées de 8 à 10 %. Et on doit réduire le personnel de l’Etat de 8% au moins, et diminuer fortement le nombre des organismes publics (950). Toute mesure nouvelle doit trouver son financement. Pour les infrastructures et les autres priorités économiques un

fonds spécial d’investissement de 500 milliards d’euros sera établi, dont 100 milliards dédiés

aux Länder et aux communes, et 100 milliards pour la transition écologique. Pour cela il y aura un pacte entre l’Etat, les Länder et les communes.

Mais le budget de la Défense ne sera pas contraint, et on renforcera la participation à l’OTAN et à l’UE. Une loi sur l’armée sera présentée au Parlement. Par la modernisation de l’Administration on doit réduire de 16 milliards les coûts administratifs dans l’économie. On réduira aussi les demandes et les règles  administratives de l’UE. La numérisation doit intervenir dans tous les domaines administratifs en réseau, avec un cloud allemand, une sécurité des réseaux et une lutte contre les fausses informations. On va investir pour développer le réseau fibre et les communications mobiles pour tous. On va investir dans le quantique, la robotique, l’intelligence artificielle (IA), la micro et nano-électronique, le spatial (satellites de communication), ainsi que dans la formation des jeunes. On va lutter contre le racisme, l’antisémitisme et l’anti Israël. En 2030 on doit dépasser 3,5 % du PIB consacré à la recherche développement.

 

Le chapitre 3  vie commune sûre, migration et intégration  commence par le renforcement des forces de sécurité, y compris dans l’UE (Frontex) et dans la cybersécurité. Les plateformes internet doivent garder les données pendant 3 mois. Il y aura zéro tolérance pour les antidémocrates notamment l’extrême droite. Les associations financées par l’étranger doivent se déclarer, et seront surveillées. Un plan d’action contre l’islamisme sera concerté avec les Länder. L’Histoire donne à l’Allemagne une responsabilité particulière pour défendre l’existence d’Israël.

Il faut protéger les minorités vivant en Allemagne, et surtout les Allemands vivant dans les pays de l’est. Il faut protéger particulièrement les femmes. Une étude sur la légalisation du cannabis donnera ses conclusions à l’automne.

L’Allemagne doit rester un pays ouvert et accueillant, mais avec une immigration dirigée. Il faut réduire l’attractivité du système social et mettre fin au regroupement familial. On va faire des accords avec des Etats pour contrôler l’immigration et les retours au pays. Le nombre d’immigrants des Balkans ouest sera limité à 25 000 par an. Il sera mis fin aux facilités accordées aux immigrants d’Afghanistan et de Syrie. Les condamnés qui doivent quitter l’Allemagne seront dorénavant pris en charge par la police (plus par la justice). On va élargir la liste des Etats sûrs, où figureront les 3 pays du Maghreb et l’Inde. Pour renforcer l’intégration des cours de langues et de formation professionnelle seront obligatoires.

 

Le chapitre 4  une forte cohésion, une démocratie solide  reprend la politique familiale incitative. Les aides financières et pratiques (crèches), ainsi que la protection et les aides pour les jeunes sont confirmées voire étendues. Une insistance est mise sur l’égalité hommes femmes, notamment dans les postes de direction, et la protection des femmes sous contrainte. On va lutter aussi contre la discrimination des seniors, qui sont une main d’œuvre utile en période de pénurie.

Au plan de la santé et des soins, on doit remédier au grand déficit de la Sécurité sociale en stabilisant les cotisations et en réduisant les dépenses. Pour cela on va renforcer la prévention et relocaliser des productions de médicaments, et bien sûr débureaucratiser tout le circuit de santé. On va promouvoir les téléconsultations et les télépharmacies.

Des améliorations sont prévues pour le travail et la rémunération du personnel de santé. Un pacte de financement sera conclu entre l’Etat et les communes.

On va promouvoir le sport, notamment pour de grands évènements internationaux, favoriser le sport de haut niveau, et le bénévolat des animateurs. On va continuer à aider les sportifs dopés de force dans l’ex RDA. Plus d’un milliard d’euros sera consacré à améliorer les stades et les sites sportifs, et surtout à rénover et construire des piscines.

La culture doit être libre et gratuite. On va favoriser les projets culturels dans les terroirs, soutenir le cinéma, la musique, les jeux vidéo. Il faut protéger les cultures des minorités reconnues en Allemagne (Danois, Frisons, etc). On va veiller à bien conserver les lieux de souvenirs et de mémoire ; compte tenu de l’histoire passée, cela concerne notamment le nazisme, la RDA, le colonialisme.

Pour les medias il faut assurer leur liberté et leur diversité. On va lutter contre la désinformation et surveiller les hébergeurs sur internet. Une plateforme européenne de diffusion est à créer avec Arte.

 

Le chapitre 5 une politique étrangère responsable, une Europe unie, une Allemagne sûre donne comme objectif de préserver la paix et la sécurité, avec en priorité la sécurité économique. Le principal danger est la Russie de Poutine. On va donc renforcer la Bundeswehr qui doit devenir le pilier de l’OTAN, qui reste la priorité pour la sécurité. Dans un esprit de multilatéralisme il y aura aussi des accords bilatéraux avec d’autres pays y compris du Sud global. Il faut aider encore plus l’Ukraine, utiliser les avoirs russes gelés en Europe, créer un tribunal spécial pour juger l’agression russe.

On va chercher à accroitre les organes de l’ONU basés à Bonn. Il faut un traité d’amitié fort avec le Royaume Uni. Il faut assurer l’existence d’Israël et réformer l’UNRWA (agence de l’ONU pour les réfugiés). Il faut encourager la démocratie en Turquie, aider la Syrie notamment pour le retour des réfugiés. En Afrique il faut contenir les influences russe et chinoise. Sur la zone indo-pacifique, on va intensifier les relations avec l’Inde et viser à des accords de libre échange avec l’Australie, le Japon, la Corée du sud, la Nouvelle Zélande. Avec la Chine on doit rester ferme, on lui demandera de respecter les règles du commerce et la réciprocité.  Et on continuera les relations avec Taïwan. L’Iran doit arrêter ses activités sur le nucléaire et les missiles balistiques.

L’Allemagne va continuer sa politique étrangère pour la culture et l’éducation. Elle va augmenter son aide humanitaire.

Au plan militaire on va accroitre l’attractivité du service militaire volontaire, sur le modèle suédois. On  va se renforcer en technologies du futur, en munitions et en matériel, y compris par des importations. L’industrie de l’armement doit se renforcer, l’Etat fédéral pourra même y investir comme actionnaire. Les exportations de matériel sensible se feront sous contrat intergouvernemental et seront surveillées. On facilitera les investissements de la Bundeswehr.

L’aide au développement sera mieux coordonnée, des aides seront fournies pour avoir accès aux matières premières et à l’énergie. Les aides serviront aussi à réguler l’immigration, combinées à une politique de visas.

Le texte finit par des positions sur l’UE. Une Allemagne forte renforcera l’UE. Une base solide est l’amitié franco-allemande fondée sur les traités de l’Elysée et d’Aix la Chapelle. Il faut faire revivre le triangle de Weimar avec la Pologne. Il faut vraiment sanctionner le non respect de l’Etat de droit. Il faut étendre le marché intérieur de l’UE à l’énergie, au transport aérien, à la pharmacie. Il faut faire une union de l’énergie avec des réseaux électriques et d’hydrogène continentaux. Il faut renforcer les capacités industrielles de l’UE et atteindre 3 % du PIB pour la recherche développement. Le cadre financier pluriannuel de l’UE pour 2028 doit tenir compte des priorités : défense, sécurité et augmentation de la compétitivité économique. Il faut aussi renforcer la politique de cohésion régionale.

Un élargissement est envisageable si l’UE se réforme, notamment sur les règles de décision. On peut accepter une Europe à plusieurs vitesses. Il faut préparer un élargissement progressif avec les Balkans, la Moldavie, l’Ukraine, peut-être la Géorgie.

 

Le chapitre 6 collaboration confiante, gouverner avec succès fixe les règles de fonctionnement de la coalition. Les décisions se prendront ensemble, le consensus est requis en permanence, les représentants voteront toujours ensemble. Il n’y aura aucune collaboration avec l’extrême droite ni avec un parti antidémocratie.

 

Les postes du gouvernement sont répartis :

Le chancelier sera CDU, le vice chancelier SPD.

La CDU aura les ministères de l’économie et de l’énergie, des affaires étrangères, de l’éducation et de la famille, de la santé, des transports, de la numérisation et de la modernisation.

Le SPD aura les ministères des finances, de la justice, du travail et du social, de la défense, de l’environnement, de la coopération économique et du développement, du logement et de la ville et de la construction.

La CSU aura les ministères de l’intérieur, de la recherche et des technologies et de l’espace, de l’alimentation et de l’agriculture et des régions ou terroirs (Heimat).

Il y aura ensuite des ministres d’Etat (équivalant aux secrétaires d’Etat en France), dont un pour les Länder de l’est.

 

PS : j’ai traduit mot à mot le titre du pacte, alors que dans son communiqué l’ambassade d’Allemagne à Paris dit « responsables pour l’Allemagne », ce qui est l’esprit du texte : les trois partis sont responsables de l’avenir du pays.

*président du Cercle franco-allemand à Paris

  • [1] on soupçonne que l’Allemagne n’arrêtera pas la fabrication de moteurs thermiques en 2035

 

Plus de publications

Consultant en énergies, ancien directeur général d’EDF International

Related Articles

Responses