Le Pont

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La pertinence du système de gouvernance de la sûreté nucléaire repose sur la recherche

Le projet de réforme de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection a relancé d’anciens débats tranchés il y a ¼ de siècle après de longues concertations menées notamment dans le cadre des travaux du député Jean-Yves Le Déaut. Outre les interrogations sur l’opportunité de revenir sur des fondements et des acquis largement partagés, il est regrettable que les discussions pourtant vives sur l’actuel projet de loi omettent une dimension essentielle : la recherche.

Pour la sûreté comme pour la radioprotection, la production de connaissances est pourtant un impératif incontournable tant pour les porteurs de projet que pour le système public de maîtrise des risques. Ces différentes connaissances permettent d’une part de constituer les dossiers de sûreté et d’autre part de disposer des éléments scientifiques et techniques pour en réaliser l’expertise. Le système public de maîtrise des risques doit ainsi avoir les structures, les moyens et les compétences pour produire des recherches sur des sujets bien réfléchis, que ce soit dans le cadre de l’expertise de projets existants ou à venir, que ce soit aussi pour préparer la sûreté et la radioprotection de demain. Cet acquis du système public actuel, élément important du poids de la France sur la scène internationale, pourrait très bien être remis en cause même par inadvertance dans la fusion envisagée puisque le sujet fondamental de la place de la recherche dans la future autorité n’a pas fait l’objet de réflexions approfondies et structurées.

La recherche doit respecter des standards bien établis en termes de choix de sujets, de protection de la liberté de jugement, d’évaluation et de publication. Elle nécessite ressources humaines, temps et budgets. Ainsi, la recherche sur les accidents de réacteur implique des expérimentations longues et onéreuses, développées dans le cadre de larges partenariats. Au-delà d’un soutien rhétorique, la recherche scientifique et technique ne peut exister durablement qu’au prix d’un effort affirmé. La décennie précédente a notamment érodé les moyens de recherche de l’IRSN : le renversement de politique de février 2022 et la visibilité apportée par les débats autour d’une fusion ASN-IRSN auraient logiquement pu être de nature à entrainer une véritable remobilisation pour la recherche en sûreté nucléaire et en radioprotection.

Force est de constater que ce sursaut n’a pas eu lieu. Une des raisons est sans doute l’idée fausse que la recherche serait porteuse de risques de surenchère et de blocage, alors qu’elle peut au contraire permettre de répondre rationnellement aux inquiétudes. L’insuffisante réflexion sur la différence entre les fonctions d’évaluation et de décision s’est ainsi accompagnée d’une absence de réflexion sur les proximités, équilibres et différences entre recherche et expertise. Alors qu’une imbrication forte entre expertise et recherche est gage de pertinence et d’efficacité en matière de maîtrise des risques, l’idée-même que la réforme visait à dissoudre l’expertise dans la fonction de décision n’a pu que rendre difficile la réflexion sur la place à donner à la recherche dans un système de gouvernance unifié.

Cette absence de vision et d’évaluation sérieuse des risques de la fusion a conduit à retenir le statut d’autorité administrative indépendante (AAI) pour la future autorité, alors qu’une « administration » n’est pas un lieu approprié pour mener des projets de recherche. Cette question est tout particulièrement prégnante au vu de la part importante des moyens, humains et surtout financiers, qu’il faudrait consacrer à la recherche dans la future autorité. Et ce d’autant plus que la recherche implique des cofinancements par des partenaires français ou étrangers, publics ou privés, et que les arguments utilisés pour motiver le transfert au CEA de la dosimétrie conduiraient à l’évidence à exfiltrer les activités de l’IRSN qui reposent sur des cofinancements d’industriels nucléaires.

Le bon sens doit prévaloir sur le dogmatisme et, si  la création d’une autorité intégrée est retenue, il doit alors lui être donnée la capacité de gérer au mieux l’ensemble de ses missions, dont celle de recherche. La réponse existe : il s’agit du statut d’autorité publique indépendante (API) défini par la loi du 20 janvier 2017. Disposant de la personnalité morale, son organisation pourrait assurer la séparation entre les fonctions régaliennes de décision, de contrôle et de sanction et celles de recherche, d’expertise et de formation qui pourraient alors recevoir des cofinancements d’entités publiques ou privées, françaises ou étrangères, dans le cadre de contrats strictement soumis au contrôle d’une commission d’éthique et de déontologie.

Les débats au Sénat et à l’Assemblée nationale ont mis en évidence le faible consensus sur le projet de loi de création d’une autorité intégrée pour le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, l’étroitesse du vote en séance plénière, le 19 mars, en étant le dernier exemple : l’écart n’était que d’une voix sur 549 votants. Sauf si le Gouvernement choisit de reprendre les réflexions, la commission mixte paritaire doit maintenant être l’occasion d’apporter les amendements nécessaires au projet, à commencer par celui relatif au statut d’API et par la construction des équilibres et murailles de Chine nécessaires : l’objectif devrait être d’aller vers un large soutien de la représentation nationale aux fondements de la future autorité si sa création est confirmée.

Conserver un système de contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection puissant, compétent, utilisant les meilleures connaissances et favorisant la transparence doit constituer un objectif commun en vue de favoriser la relance de l’industrie nucléaire dans notre pays et le maintien en fonctionnement durablement sûr du parc existant. La recherche doit y avoir toute sa place pour asseoir les positions de l’Autorité et permettre de préparer les experts et la sûreté de demain.

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Ingénieur général des mines et ancien délégué aux risques majeurs

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