Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

L’envolée des prix de l’énergie

Le constat

L’envolée des prix de l’énergie à l’échelle mondiale, et qui concerne aussi bien le gaz, le pétrole, l’électricité que le charbon, soulève des inquiétudes dans un contexte où elle s’accompagne d’une hausse du prix de nombreuses matières premières, ce qui est de nature à compromettre la reprise économique et à pénaliser le pouvoir d’achat de nombreuses catégories sociales. C’est le gaz qui « mène la danse » aujourd’hui plus que le pétrole.

La hausse très importante du prix du gaz depuis le début de 2021 s’explique par une forte croissance économique en Asie, spécialement en Chine, mais aussi par des difficultés de fourniture aux Etats-Unis et en Russie. Elle tient beaucoup au remplacement massif des centrales à charbon par des centrales à gaz, un peu partout dans le monde, le gaz étant moins carboné que le charbon.

La hausse du prix du pétrole brut, qui est sensible (85 $ le baril) n’a rien d’exceptionnel en revanche (on a déjà connu des prix plus élevés, notamment 147 $ en 2008) mais elle est accentuée en Europe par la faiblesse actuelle  de l’euro face au dollar. La hausse des produits pétroliers est de ce fait mal ressentie, d’autant qu’une « contribution climat-énergie » est maintenant incluse dans le TICPE (taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques).

La hausse annoncée du prix de l’électricité est plus difficile à comprendre par les Français qui pensaient que le parc nucléaire les mettait à l’abri des fluctuations des prix des énergies fossiles. Le tarif réglementé de vente du kWh, fixé en France par la CRE, est inférieur à la moyenne européenne et il ne devrait pas monter beaucoup lors du prochain ajustement en février 2022 (le gouvernement a annoncé une hausse plafonnée à 4% au lieu des 12% prévisibles). C’est la logique de fixation de ce TRV qui explique que le prix du kWh soit pour partie sensible au prix du kWh observé sur le marché de gros européen, lequel s’envole depuis début septembre 2021. Et cette envolée est liée au prix du gaz dans la mesure où ce sont les centrales à gaz qui, sur le marché européen interconnecté, sont souvent en position de « centrales marginales », celles dont le coût de fonctionnement détermine le prix d’équilibre.

Les solutions

Face à l’augmentation du prix des produits pétroliers, le gouvernement a opté pour un chèque énergie de 100 euros par personne pour 28 millions de Français. Cela est loin de compenser le surcoût subi aujourd’hui, d’autant que ce surcoût est apprécié par le consommateur moyen en fonction des prix bas qui prévalaient en 2020 en pleine crise sanitaire. Certains souhaitent une baisse des taxes, de la TICPE ou de la TVA. IL ne faut pas oublier que la TICPE est une accise dont une partie sert à financer le surcoût des renouvelables. On pourrait certes supprimer la partie de la TVA (impôt ad valorem) qui est assise sur la TICPE (accise dont le niveau est fixé en euros par hectolitre d’essence ou de gazole) puisque cela revient à prélever un impôt sur une taxe. Mais l’Etat a besoin de recettes fiscales, c’est la contrepartie des dépenses, et de plus des prix élevés sur l’essence doivent, en théorie, inciter à abandonner les énergies fossiles au profit des véhicules électriques. Mais ce genre d’argument est inaudible par des ménages dont les fins de mois sont difficiles.

Le TRV électrique est calculé par la CRE par empilement de divers coûts : coût de fourniture, coût des réseaux et taxes. Chacun de ces trois éléments représente environ un-tiers du prix TTC. Le coût de fourniture est obtenu en prenant en compte le coût du nucléaire (prix ARENH) pour 68 à 70% environ de ce coût et en y ajoutant le prix d’un « complément marché » pour environ 30%. Ce « complément marché » est une moyenne lissée des prix observés sur le marché de gros sur 24 mois (en particulier le prix day-ahead). Ce partage 70/30 correspond grosso modo à la structure du coût d’approvisionnement des alternatifs qui bénéficient d’un accès à l’ARENH mais qui doivent acheter une partie de leurs besoins sur le marché de gros. Quand le plafond ARENH est atteint (100 TWh), ce qui est le cas aujourd’hui, on doit procéder à un écrêtement des demandes d’ARENH ce qui oblige les concurrents d’EDF à faire davantage appel au marché de gros. Pour maintenir la « contestabilité » du tarif régulé fixé par la CRE (le TRV) on procède à un réajustement de la structure des coûts en augmentant la part « complément marché » du TRV. Cela revient in fine à accroître le niveau du TRV pour faciliter la concurrence, du moins tant que le prix observé sur le marché de gros est supérieur au niveau de l’ARENH, ce qui sauf rares exceptions (comme en 2016 ou en 2020) est en général le cas.

On peut envisager de mettre fin à ce principe de « contestabilité ». Les concurrents d’EDF ont maintenant fortement accru leur part de marché et ils proposent souvent des prix inférieurs au TRV. La hausse du TRV lié à la mise en œuvre de ce principe  procure une « rente » à EDF qui peut vendre son électricité à un prix supérieur au coût hors « contestabilité », ce qui fait dire à la CRE qu’EDF a intérêt à perdre des parts de marché. Mettre fin à la « contestabilité » du TRV c’est supprimer des recettes pour EDF et rendre plus difficile la conquête de marchés pour les alternatifs mais cela constitue un gain pour le consommateur et une incitation à l’efficience pour les alternatifs qui peuvent dès lors avoir intérêt à investir dans des moyens de production nouveaux et plus performants. Le mécanisme de l’ARENH devait inciter les alternatifs à investir, ce qu’ils n’ont pas fait ou peu fait (à l’exception d’investissements dans  des capacités renouvelables fortement subventionnées). Les projets de réforme de l’ARENH ont pour l’instant été reportés mais il  urgent de prendre une décision pour un mécanisme dont l’échéance se situe fin 2025.

Conclusion

La hausse actuelle des prix de l’énergie est une contrainte pour de nombreux ménages et entreprises, nul ne le conteste. Mais elle annonce une évidence : la route vers une économie « bas carbone » sera difficile et coûteuse. Il faut donc privilégier des mesures ciblées en direction de ceux qui risquent d’être laissés sur le bord du chemin.
La disponibilité d’un parc nucléaire performant et largement amorti est un atout qui permet à la France de mieux supporter la hausse des prix de gros de l’électricité. La crise actuelle est dès lors une opportunité pour renforcer l’option nucléaire

A court terme deux mesures pourraient être privilégiées : supprimer la hausse de TVA assise sur la TICPE, d’une part, mettre fin au principe de la « contestabilité » du TRV d’autre part.

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Professeur Emérite à l’Université de Montpellier

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Réponses

  1. Quelques remarques en retour sur l’article de Jacques Percebois

    L’excellent article de Jacques Percebois souligne à juste titre que nous assistons à un choc gazier très violent et très inattendu car les approvisionnements gaziers semblaient être à l’abri de vicissitudes incontrôlables, beaucoup plus que le pétrole qui a souvent été utilisé comme arme politique. Nous traversons une crise du gaz d’une ampleur inédite, dont la France n’a pas connu d’équivalent depuis la panne de l’usine de liquéfaction de Skikda en Algérie en novembre 1973 qui avait conduit, à l’époque, à interdire l’emploi du gaz dans les centrales thermiques.
    Ce choc gazier nous rappelle la forte dépendance de nos approvisionnements gaziers vis-à-vis de la Russie et d’autres pays tiers. Elle a un impact direct sur les prix du charbon, qui sert encore à la production d’électricité dans de nombreux pays, et sur les prix de l’électricité, au travers en Europe des marchés de gros.
    Ces prix de marché impactent eux-mêmes les prix aux consommateurs, industriels ou domestiques, et, en France, se trouve posée la question de l’actualisation prévue pour février 2022 des tarifs réglementés de l’électricité (TRV) qui n’ont pas bougé pour l’instant mais qui, selon les mécanismes rappelés par Jacques Percebois, pourraient évoluer de façon significative mais beaucoup moins cependant que dans d’autres pays européens comme l’Espagne.
    Dans le même temps, le pétrole a monté mais à 80 ou 85 $ le baril, il reste pour l’instant dans sa plage de fluctuation historique mais le consommateur, qui s’était habitué à des prix bas pendant la pleine crise de la Covid, voit le prix à la pompe remonter de façon drastique, ce qui fait craindre une nouvelle réaction de type gilets jaunes.
    La situation est complexe et il faut essayer de sérier les questions. Il y en a en fait quatre.
    – La hausse de prix des carburants est très mal ressentie parce qu’elle met brutalement un terme à une période de détente sur les prix dont les consommateurs se sont imaginé qu’elle durerait. Le retour à la réalité est d’autant plus sévère que le revenu par ménage réellement disponible des Français, après qu’ils ont payé toutes les charges et dépenses récurrentes, est beaucoup plus limité que ce les statistiques sur le revenu national brut laisse croire. Le gouvernement a eu raison d’injecter un peu de monnaie hélicoptère avec l’indemnité de 100 € mais il va nécessairement se poser un problème de pouvoir d’achat et donc de hausse des salaires.
    – La hausse des prix des approvisionnements gaziers au niveau européen : certains pensent que la mise en place d’achats groupés permettrait de la limiter en se plaçant en meilleure position de négociation. Nous n’y croyons guère et on imagine la machine qu’il va falloir monter pour parvenir à faire fonctionner une telle coopérative d’achat. Le mieux est de laisser jouer le marché. Le gaz ne va pas baisser dans les trois mois mais d’ici un an, deux ans, les producteurs mettront sur le marché de nouvelles ressources car le gaz reste une énergie abondante avec des possibilités de diversification des approvisionnements. Ne commettons pas par contre l’erreur, sur le plan national, de baisser la taxe intérieure censée internaliser pour partie le contenu carbone. Elle est déjà bloquée depuis l’épisode Gilets jaunes. La baisser créerait une situation où la remonter deviendrait impossible.
    – La troisième question est celle du lissage éventuel des prix de l’électricité sur le marché de gros européen. Certains pays ont publié un non papier selon lequel il serait possible de déconnecter le prix de l’électricité du prix du gaz et la France semble vouloir soutenir cette position. Les modalités du système n’apparaissent pas à ce stade clairement et on comprend mal quel intérêt il y aurait à vouloir par des mécanismes complexes s’opposer aux lois du marché. On peut s’assurer par contre qu’il n’existe pas d’obstacles à la passation de contrats à long terme, entre producteurs et fournisseurs, permettant de se couvrir des risques en se mettant à l’abri des fluctuations du court terme.
    – La quatrième question et sans doute la plus délicate est celle de la répercussion des fluctuations sur les marchés intérieurs des conditions de prix constatées sur les marchés de gros européens. Et là nous avons un problème franco-français de gestion et d’évolution des tarifs réglementés de l’électricité qui, comme l’explique Jacques Percebois, constituent une cote mal taillée entre un système totalement libéral et le système totalement administré que l’on a connu dans le passé. Le mécanisme de l’ARENH en est un artefact. Ce système ne peut pas à notre avis perdurer. Il prive EDF de ressources au moment où il va avoir de gros investissements à financer et il a permis à de nombreux opérateurs de venir s’installer en tant que fournisseurs d’électricité mais sans qu’ils fassent l’effort de mettre en place des moyens de production stables ou des garanties d’approvisionnement (sauf dans les EnR où le risque était quasi-nul), comme jadis on l’exigeait des opérateurs pétroliers au titre de la loi de 1928.
    L’évolution de ce dispositif sera l’un des grands chantiers du prochain quinquennat. Elle suppose que l’on convienne de l’objectif à atteindre et que l’on mette en place les étapes de transition et les mécanismes assurant la protection des consommateurs.
    Il nous semble que l’objectif à terme devrait être celui d’une disparition totale de l’ARENH et donc une mise aux enchères de toutes les productions nucléaires, considérées comme un bien essentiel, au même titre que l’on met aux enchères les fréquences de la 4G et de la 5G.
    Mais c’est là un sujet qui demande évidemment beaucoup de réflexion et de prudence…

    Jean-Pierre Hauet