Le Pont

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Les réseaux d’hydrogène en France et en Europe, un atout dans la transition énergétique

Bus à hydrogène Crédits : CC-BY-SA 4.0 Matti Blume

L’hydrogène est aujourd’hui reconnu comme un élément incontournable de la transition énergétique vers la neutralité carbone : il est largement inclus dans les plans de décarbonation nationaux et européens, en particulier pour les besoins de l’industrie, la production d’électricité et la mobilité lourde. Mais quel modèle pour développer ce vecteur énergétique ? Deux études récentes démontrent que le développement d’un réseau de transport d’hydrogène – au lieu de rester sur un modèle en hubs isolés – représente une opportunité dans la transition énergétique, dont elle permet de limiter le coût, en France comme en Europe. La solidarité et les échanges européens, et en particulier franco-allemands, ont fait la preuve de leur intérêt dans l’économie carbonée, y compris dans le contexte difficile de la guerre en Ukraine. Cette solidarité et ces échanges resteront indispensables dans le contexte de la transition énergétique et du développement de l’hydrogène. Ils ne seront possibles que grâce à un réseau de transport européen.

L’intérêt de l’hydrogène dans la transition énergétique 

Les nombreux avantages de l’hydrogène (H2) pour atteindre la neutralité carbone sont bien connus :

  • Une combustion qui n’émet aucun CO2 et produisant de hautes températures adaptées aux procédés industriels, indispensable à la transition de l’industrie vers la neutralité carbone, et également utile pour le transport lourd ;
  • Un vecteur énergétique pouvant être produit à partir d’électricité bas carbone, éolienne et photovoltaïque ;
  • Une énergie sous forme de molécule, qui est donc stockable, et qui permet donc des synergies intéressantes en couplage avec les ENR électriques intermittentes, car le stockage d’électricité (qui est un flux d’électrons) est difficile et coûteux, voire pratiquement impossible quand on parle de volumes importants et sur des durées longues. La stockabilité et la flexibilité de l’H2 auront de plus en plus de valeur dans un système énergétique où les ENR électriques se développeront fortement.

De fait, l’hydrogène est largement intégré dans les plans de décarbonation français, allemands et européens – à titre d’exemple, le gouvernement fédéral allemand estime ses besoins nationaux totaux en H2 entre 95 et 130 TWh dès 2030.

Quel modèle de développement? Intérêt du développement d’un réseau d’hydrogène (par rapport à des hubs isolés) 

Au niveau de la France, on anticipe que les consommations d’hydrogène se concentreront dans les ports et les bassins industriels, notamment en Alsace, à Dunkerque, au Havre, à Fos, à Saint Nazaire… tandis que les productions à partir de renouvelables électriques, vent et soleil, seront réparties sur le territoire, et enfin les sites de stockages, qui permettront de pallier l’intermittence de la production issue du vent et du soleil, seront situés notamment dans les cavités salines de la vallée du Rhône.

L’intérêt d’un réseau d’hydrogène pour connecter ces régions entre elles semble donc évident – et cela a été confirmé récemment par l’étude réalisée conjointement par GRTgaz et RTE et publiée en juillet 2023. Cette étude conjointe, qui tire parti des capacités de modélisation des deux entreprises sur leurs énergies respectives, démontre qu’en France, à horizon 2050, le fonctionnement flexible d’un système hydrogène présente des bénéfices importants pour le système électrique, qui excèdent largement les coûts des infrastructures de stockage et de transport d’hydrogène nécessaires à ce fonctionnement flexible, d’autant que le réseau d’hydrogène peut être largement constitué de canalisations méthane rétrofitées, limitant fortement le coût par rapport à des canalisations neuves : au total, le gain net pour la collectivité est estimé à environ 1,5 Md€/an à l’horizon 2050 dans la configuration de référence de l’étude. En outre, ce résultat est robuste à des variations des principales hypothèses économiques.

Ce qui est vrai au niveau de la France est aussi vrai au niveau européen : un réseau d’hydrogène est intéressant notamment pour connecter, par le moyen de l’hydrogène, le soleil du Sud avec les besoins industriels du Nord, comme confirmé par le rapport METIS 3-S5 de la Commission européenne, qui vient de paraître en août 2023, et qui conclut que l’intégration transfrontalière réduira considérablement le coût de l’approvisionnement en H2 en Europe et qu’un réseau pan-européen d’hydrogène est un élément essentiel de la transition énergétique de l’industrie européenne, dans tous les scénarios étudiés (même ceux avec une faible demande d’hydrogène).

L’intérêt d’un réseau d’hydrogène français et européen, interconnectés, est donc confirmé.

Importance du lien France-Allemagne et rôle de GRTgaz 

La coopération franco-allemande en énergie, et notamment en gaz, est ancienne – le pipeline MEGAL, projet commun à Ruhrgas et Gaz de France, date de 1975. Depuis, l’Allemagne a longtemps été un pays de transit pour le gaz venant de l’Est vers la France. Mais avec la guerre en Ukraine, les flux de gaz intra-européens se sont inversés et la France a contribué à la sécurité d’approvisionnement allemande en gaz en 2022, via l’interconnexion d’Obergailbach, comme l’a rappelé la présidente de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) dans son intervention. Il faut souligner qu’à cette occasion, le système gazier européen a montré sa résilience et la valeur de la solidarité entre états membres. De fait, aucun pays n’a subi d’interruption de son approvisionnement en énergie en 2022, malgré la crise.

Nous pensons que cette coopération et la solidarité européenne, qui est à la fois politiquement souhaitable et économiquement profitable pour tous les pays européens, doit se poursuivre dans le contexte de la transition énergétique vers la neutralité carbone, et en particulier en ce qui concerne l’hydrogène.

Nous souhaiterions à ce titre citer nos projets d’hydrogénoducs (canalisations transportant de l’hydrogène bas carbone) avec l’Allemagne : MosaHyc et RhYn. Il convient aussi voire surtout d’évoquer le projet H2Med-BarMar, lancé par le Président de la République Emmanuel Macron en décembre dernier aux côtés des dirigeants espagnol et portugais, et qui consiste à relier le Portugal, l’Espagne, la France et l’Allemagne via hydrogénoduc, et ainsi connecter les centres d’approvisionnement du Sud de l’Europe bénéficiant d’heures d’ensoleillement élevées et donc propices à la production d’électricité renouvelable, à la demande industrielle de Fos sur mer, ainsi qu’à d’autres clusters et vallées situés en France, et finalement vers l’Allemagne et ses bassins industriels, via un autre projet nommé Hy-FEN. H2Med-BarMar fournira un accès à un hydrogène compétitif et une plus grande sécurité d’approvisionnement, augmentant ainsi la compétitivité et l’attractivité de la France pour les industriels.

Avant de conclure, il nous semble utile de rappeler que la souveraineté – dont la crise avec la Russie a rappelé l’importance – ne doit pas être confondue avec l’autarcie. Renforcer notre indépendance énergétique est une bonne idée, que nous partageons, mais cela ne doit pas vouloir dire nous couper de nos partenaires européens. La souveraineté est le fait de ne pas dépendre de quelqu’un. Un pays qui dispose d’un approvisionnement national couplé à des fournisseurs étrangers diversifiés, parmi lesquels aucun ne peut imposer sa volonté est en situation de souveraineté. Il faut distinguer cet état de l’autarcie, qui est la situation d’un pays qui a fermé ses frontières et n’a pas d’échanges avec l’étranger. Non seulement il ne peut pas être solidaire de ses voisins, mais au moindre problème, ce pays isolé est en pénurie, en asphyxie.

Le développement d’un réseau de transport d’hydrogène en France et en Europe est une opportunité dans la transition énergétique. Il faut donc ancrer des objectifs de développement d’un réseau H2 dans les stratégies nationales et européennes de décarbonation.

 

*Ce texte est les discours écrit du référent stratégie à GRTgaz lors du Forum franco-allemand et européen du 11 septembre 2023

 

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