Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Pourquoi dire non à Zemmour

Il n’est pas satisfaisant qu’Éric Zemmour mobilise le débat pré-électoral, moins du fait de sa personne en tant qu’essayiste et polémiste, que par l’effet de polarisation et même de sidération médiatique qu’il représente dans un contexte de dépolitisation et de ressentiment social. Force est de reconnaitre que nous subissons une overdose de l’auteur du « suicide français ». Au nom de la liberté d’expression, garantie dans notre République démocratique, c’est à dessein que nous associons comme principe éditorial de Le Pont la République (des valeurs, de l’histoire et des traditions) à la démocratie sociale, Eric Zemmour ne saurait à l’instar des autres prétendants à l’Elysée 2022 en être privée. Mais cette liberté est contrainte par des responsabilités et des limites : ne pas appeler au meurtre, à la violence, au négationnisme, à la destruction de la cohésion sociale. Sur ces différents sujets, Zemmour n’est pas irréprochable mais il ne franchit pas la ligne rouge. Un peu comme Jean-Luc Mélenchon, Sandrine Rousseau, Marine Le Pen et d’autres voix populistes qui aquarellent l’arc politique de l’extrême gauche et l’extrême droite.

Alors, pourquoi dire non à Zemmour ?

D’abord parce qu’il assourdit le débat démocratique en captant les affects des électeurs au détriment de la sérénité et du raisonnement qui sied à tout débat démocratique. Zemmour dé-démocratise les enjeux présents et futurs de notre pays en pulvérisant le sens des évènements et de l’actualité. Inutile de chercher à y démêler le mensonge de la vérité, la réalité politique exprimée par Zemmour est une chimère qui se pare de toutes les frustrations, de tous les cauchemars. Comment s’étonner que cela marche dans un contexte de dépolitisation, en témoigne l’abstention massive des citoyens, mais aussi du fait de la radicalité ambiante des discours minoritaires stimulée sans relâche par les parangons des causes identitaires, racialistes et autres plaisanteries « woke ».

Une autre raison de dire non à Zemmour vient de ce que l’on ignore totalement son programme-bagage politique sur les préoccupations des Français et l’avenir de la France. Comment réindustrialiser la France ? Quelle position sur l’avenir du nucléaire ? Comment pérenniser le régime des retraites ? Comment rattraper notre retard économique sur l’Allemagne ? Quelle politique sur le malaise de l’école et de l’éducation et les retards de la recherche ? Sans oublier le climat et la biodiversité qui sont devenus des priorités dans l’agenda international. De tout cela, Zemmour ne dit mot. Il pourra certes demander à quelques technocrates de lui rédiger des notes, mais cela ne saurait constituer un programme politique en vue d’aider la France à affronter la compétition des nations. Et aussi à faire de notre pays un territoire de croissance durable et de prospérité partagée, de consensus social et de culture républicaine et ouverte sur le monde. Défendre l’intérêt national est un impératif que nous partageons, que nous promulguons même, que nous souhaitons inscrire au fronton des valeurs républicaines. Mais sans biffer d’un trait revanchard nos racines européennes, notre proximité méditerranéenne et le cosmopolitisme de la pensée française dans la littérature, la science et les arts.

Il y a un « détail historique » qui fait injonction à tout républicain et démocrate de dire non à Zemmour. Il s’agit de Vichy et les juifs, de ce régime de la collaboration avec les nazis qui se comporta plus mal que mal en deportant un président du Conseil nommé Léon Blum, en faisant assassiner le ministre Georges Mandel, en envoyant à la mort dans les camps de concentration des milliers de juifs étrangers, mais par que. Les juifs français portèrent l’étoile jaune et vécurent en araignées recluses par les sbires de la police pétainiste. Eric Zemmour fait montre à ce niveau d’une véritable méconnaissance à la fois du judaïsme et de la philosophe des Lumières. Le judaïsme, qu’il s’agisse de la Bible (Thora) comme du Talmud, exhorte tout juif à ne jamais nier sa dimension étrangère (« souviens-toi que tu fûs étranger en terre d’Egypte »). Il en est de même pour les philosophes de la modernité, de Freud à Levinas, de Nietzsche à Thomas Mann, qui ont mis l’accent sur cette altérité structurante et structurelle du Judaïsme, véritable fil rouge de la pérennité du peuple juif et qui constitue une part de ses apports à la civilisation. L’appartenance au peuple juif, et par extension cela peut être élargi aux musulmans, chrétiens ou agnostiques, requiert cet héritage d’altérité qui loin d’être un obstacle peut constituer un adjuvant spirituel et moral pour se réclamer pleinement de la France, de sa nation et de son histoire.

Enfin, il y a une raison proprement politique pour s’opposer à ce que Zemmour vienne brouiller le caractère démocratique et républicain du scrutin présidentiel : il faut empêcher que 2022 soit la répétition de 2017 avec un deuxième tour aussi insipide qu’anachronique Macron-Le Pen, notre démocratie serait revigorée si l’actuel Président, dont tout laisse à penser qu’il sera présent, avait pour compétiteur au deuxième tour un candidat républicain de gauche ou de droite- cette dernière hypothèse étant la plus probable. Dans ce contexte, Zemmour fait figure de trublion de la droite et de faire valoir de l’extrême droite.

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