Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Quand Caroline Fourest taille en pièces la pensée wokiste

Fourest Caroline : « Génération offensée ; de la police de la culture à la police de la pensée », Grasset

L’austérité du titre masque un formidable dynamisme ! Ce livre est à lire d’urgence et à offrir à la jeune génération. Celle qui a besoin de justes causes à défendre, pour l’éclairer sur ses choix.

Des Etats Unis nous arrive un nouvel interdit, né souvent dans les meilleures universités : l’appropriation culturelle. Il proclame que faire quelques petits emprunts au-delà de sa propre identité, c’est imiter et se moquer, c’est donc offensant et de plus c’est la manifestation de penchants réactionnaires. Ce comportement, selon les pourfendeurs de l’appropriation culturelle, est grave et mérite qu’on dénonce (ou détruise) les fautifs. …C’est ainsi que les « offensés » s’insurgent sur tous les fronts : une pièce de théâtre ou un roman sont interdits au public, on dénonce, on casse les bancs dans les amphis. D’une manière ou d’une autre, largement relayée par les réseaux, on « fabriquera » le scandale. Et par le scandale on se sent devenu un juste qui ne supporte pas de voir rougir son front ! …

Un exemple bien menu d’offense à laver, une tempête de police culturelle dans un verre d’eau: USA 2012, l’anniversaire « japonisant » d’une petite fille, organisé comme on sait le faire outre Atlantique – photos et vidéos largement partagées- a déchainé la fureur de quelques assidus de Facebook : les fleurs de cerisier sur la table, les charmants (mini) kimonos, les maquillages blancs ornés de rouge à lèvres et les yeux noircis-bridés, un semblant de cérémonie du thé… Le lendemain la famille se voit injuriée sur le Net: l’offense est là puisqu’on affirme que les Japonais ont été moqués (yellow face) par des blancs arrogants, les femmes ont été souillées par l’affichage de sympathie pour le temps des geishas alors qu’une structure féodale haïssable les exploitait et les exploite encore; etc.

Toujours aux USA, pour ces petites fêtes, se déguiser en Frida Kahlo, en Vaiana (vahiné), c’est révéler que dans son inconscient vit encore le racisme et la morgue des « blancs », sans parler du pire, se noircir le visage pour jouer de la trompette jazz. Et ce sont au départ des blancs américains qui hurlent le plus fort. Ignorant des grands combats de l’histoire, un petit nombre tapageur détournant les justes causes à défendre, se démène sur tous les fronts, considérant qu’est outragée une catégorie, puis une autre : l’offense est partout.

 Mais police culturelle veut dire aussi police de la pensée. Dans les universités, ce qui devrait être un espace universel se réduit à une mosaïque de champs clos. Des évènements graves se multiplient ; la menace devient agression physique. Des étudiants interdissent de parler en chaire les intervenants qui pourraient « offenser ». Conduits par certains professeurs, ils demandent l’attribution de lieux où pouvoir rester entre eux, des safe space où ressasser à l’abri des autres des convictions partagées! Certains présidents capitulent pour éviter la casse (et la fuite des bienfaiteurs). C’est la fin du melting pot américain puisqu’il est interdit de se mélanger. Faute d’aller les uns vers les autres, de s’ouvrir à de nouvelles idées, ces années d’étudiants que l’on a connues mémorables et fécondes ne sont plus d’aucun enrichissement.

La vague est arrivée en Europe il y a quelques années déjà. « Une posture victimaire qui a renoncé à la raison » proclame qu’une culture « dominante » ne doit pas s’inspirer d’une culture « dominée ». On veut soumettre à des sensitive readers la création théâtrale, on retire une pièce de l’affiche, on empêche une parole, une publication, débaptise les vieux livres populaires, on déboulonne les statues ! Pas de poste universitaire sans appartenir à une « école » connue pour « bien » dresser les esprits.

Caroline Fourest connait le sujet pour avoir elle-même combattu pour la reconnaissance de la minorité lesbienne dans les rangs du féminisme. Cette conduite d’offensé, admet-elle, peut servir de thérapie personnelle dans le but de se reconstruire et de mieux supporter l’adversité. Mais à condition qu’elle se maitrise avant d’installer l’idée de sociétés indéfiniment opprimées. Et qui ne le sont que par elles-mêmes. C’est l’inverse de l’effet attendu. Chaque jour nous annonce qu’un nouveau « combat » gagne du terrain. Celui « contre l’oppression » des minorités ethniques et des femmes, qui a déjà bien de l’ancienneté, « s’enrichit », devient police et violence. S’y ajoutent des souffrances lointaines ou imaginaires ressassées par ceux « qui ne savent plus prendre la parole que pour faire taire les autres » !

 Il y a déjà eu les années du « droit à la différence ». Mais aujourd’hui et demain, inspirés pourtant de ces mêmes valeurs, quelques acharnés brandiront l’étendard du séparatisme. Les « autres » n’auront plus le droit de s’en mêler. Chacun s’insurgera en son propre nom dans la tribu où il se voit. Or le séparatisme est le contraire des mouvements égalitaires. « La voie choisie [de destruction et de de déchainement aveugle] maintient les stéréotypes et favorise la revanche » ! Le séparatisme est le contraire du vivre ensemble. Nous en avons le spectacle quotidien. Il s’installe à pas feutré ou bien il casse tout ici et là. Et parfois même, avec l’emprisonnement total de la pensée, il tue!

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