Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Sûreté nucléaire et radioprotection : Reprendre la « longue marche »

La réorientation de l’électronucléaire en France est rapide au premier semestre 2023 : volonté de rétablissement du parc existant, engagement du « nouveau nucléaire », confirmation de CIGEO, renforcement des compétences et moyens. Trois dates récentes importantes marquent le pilotage public de l’énergie nucléaire : le Conseil de Politique Nucléaire réuni à l’Elysée le 3 février, la publication du rapport de la Commission d’enquête Schellenberger-Armand le 30 mars et l’adoption de la loi « accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires » qui devrait intervenir le 16 mai à l’Assemblée Nationale, la Commission Mixte Paritaire (CMP) étant fixée au 4 mai et la seconde lecture au Sénat au 9 mai.

Pour ma part, je me suis engagé dans l’évolution de l’IPSN de 1986 à 1996, avant d’exercer jusque 2003 la responsabilité de Délégué aux Risques Majeurs : pour donner un avis sur ces changement , je me bornerai ici à la dimension de la prévention des risques.

Actuellement, l’Etat assure la maîtrise de la sûreté et de la radioprotection essentiellement au moyen de deux organismes, l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN ; 500 personnes ; créée en 2006) et l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN ; 1700 personnes ; créé en 2002). Même si la responsabilité de première ligne incombe aux entreprises et même si les domaines d’intervention de l’ASN et de l’IRSN sont plus larges que le seul électronucléaire (industrie ; médical ; défense ; radon), l’accélération décidée en 2023 impose clairement d’assurer la « montée en puissance massive » des effectifs concernés. Ceci est d’autant plus important que les cadrages budgétaires pour l’ASN et pour l’IRSN (effectifs et salaires) tenaient compte jusqu’à présent de la décroissance prévue des activités nucléaires en France. Il est également clair que depuis Tchernobyl la confiance dans la maîtrise des risques repose largement sur la compétence et la transparence des différentes composantes du système d’ensemble : il est important de prolonger les progrès enregistrés, qui sont toujours à la merci d’une polémique ou des conséquences d’un accident, ici ou sur un autre continent.

La reconnaissance très partagée de la nécessité de ces renforcements a toutefois été occultée par l’idée d’un grand chamboulement mise sur la table de manière inattendue le 8 février : le Gouvernement annonçait à ce moment la suppression de l’IRSN, dans le but qu’une partie de ses équipes renforce celles de l’ASN, les autres rejoignant le CEA et le ministère de la défense. Un second communiqué le 23 février précisait le projet, qui était proposé par un amendement au projet de loi « accélération » déjà examiné le 24 janvier par le Sénat ; on indiquait cette fois « les compétences en matière de recherche et d’expertise en sûreté nucléaire , en radioprotection et en protection et surveillance de l’environnement seront maintenues ensemble au sein de la future autorité de sûreté ». Ce projet fait dès le 8 février l’objet de réactions en général très négatives (même s’il faudra garder en tête le souhait que l’ASN prenne mieux en compte les dimensions coût/bénéfice sans se cantonner aux recommandations de l’expertise technique). Quoi qu’il en soit, l’Assemblée Nationale rejette l’idée de fusion de l’IRSN dans l’ASN et écrit un article 11 bis qui confirme le principe de « dualité » devenu depuis les années 1980 un fondement de la gestion des risques sanitaires, technologiques et environnementaux, demandant de s’attacher à séparer « évaluation » et « décision ». La situation avant la CMP du 4 mai me paraît assez grave : quel jeune viendra s’engager ici compte tenu de la perte d’attractivité provoquée par les insuffisances des cadrages actuels des ressources humaines de l’ASN et de l’IRSN et compte tenu des inquiétudes suscitées par des annonces précipitées méconnaissant la réalité de beaucoup des métiers de recherche et d’expertise ? Se borner à renvoyer les discussions à plus tard serait à mon avis maintenant extrêmement démotivant.

Plusieurs portes de sortie sont envisageables :

1) dégager immédiatement les cadrages nécessaires pour renforcer l’ASN et l’IRSN, sans attendre le PLF 2024, en adoptant le même pourcentage pour les deux entités

2) demander à l’OPECST de contribuer à un vrai pilotage des deux entités par exemple en organisant tous les trois mois un séminaire avec les membres du collège de l’ASN et du conseil d’administration de l’IRSN

3) consolider la situation en vérifiant que les dispositions de l’article 11bis écrit par l’Assemblée Nationale constituent une « règle du jeu » acceptable par les deux chambres pour la durée de la législature (sauf évènement imprévu qui en commanderait une réévaluation), tout en initiant avec les différentes parties prenante la démarche de réflexion coconstruite recommandée par la commission Schellenberger-Armand.

Il me paraît enfin important que le renforcement rapide du système d’ensemble permette de continuer à éviter les antagonismes entre les différents métiers et les différentes cultures tout en préservant la différenciation des rôles.

 

*Ancien président du BRGM

 

https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/02/03/conseil-de-politique-nucleaire

https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/02/03/conseil-de-politique-nucleaire

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/ceindener/l16b1028_rapport-enquete

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/DLR5L16N46622

https://w.asn.fr

https://www.irsn.fr

https://www.ecologie.gouv.fr/evolution-lorganisation-du-controle-et-recherche-en-radioprotection-et-surete-nucleaire

https://www.ecologie.gouv.fr/renforcement-lorganisation-du-controle-et-recherche-en-radioprotection-et-surete-nucleaire

https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/06/le-projet-de-demantelement-de-l-institut-de-radioprotection-et-de-surete-nucleaire-constitue-une-derive-technocratique-dangereuse_6164337_3232.html

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/amendements/0917/AN/190.pdf

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Ingénieur général des mines et ancien délégué aux risques majeurs

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