Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Variations bibliques à la lumière d’événements récents

Jérémie par Michel-Ange.

Sur le livre de Jérémie, chapitre 31 (versets 15-17)

Le peuple d’Israël, vivant dans les frontières de l’Etat juif ou dans le monde entier, se trouve confronté à des menaces existentielles. La date du samedi 7 octobre vient désormais s’ajouter aux événements qui peuplent l’interminable martyrologie qui fait fonction d’histoire du judaïsme. Mais cette fois-ci, cette tentative de rayer Israël de la carte a été mûrement pensée et réfléchie : elle a même failli aboutir, elle était à deux doigts de réussir et de renvoyer Israël dans le néant.. Nous étions prêts de perde notre unique Etat juif.

Mon propos dans ce papier n’est pas de m’interroger sur l’origine des graves défaillances de nature sécuritaire ni d’infliger des blâmes à quelques responsables, par ci par là. Mon intention est de réfléchir sur cette catastrophe en scrutant certains passages de la littérature prophétique. Pour ce faire, j’ai jeté mon dévolu sur un prophète, en l’occurrence Jérémie, l’homme qui a donné naissance au terme jérémiade. Mais dans le chapitre 31, versets 15-17, c’est le même homme qui, contre toute attente, ordonne à la matriarche Rachel, l’incarnation du peuple d’Israël, de retenir ses larmes car Dieu continue de se préoccuper de son peuple.

Ces quelques phrases ont trouvé un formidable écho dans les événements dramatiques que nous vivons aujourd’hui. C’est d’une brûlante actualité : depuis quelques semaines, nous nous demandons comment faire pour ramener les captifs à la maison et les extraire des griffes d’un ennemi implacable.

Ce chapitre de Jérémie commence par parler d’un cri qui s’entend depuis la localité de Rama (domicile du prophète Samuel, selon la Bible). De qui s’agit-il ? De Rachel, la matriarche, l’épouse du patriarche Jacob, qui sanglote ; elle verse des larmes amères, elle pousse de gros soupirs. Et pourquoi pleure-t-elle ? Elle se lamente pour ses fils conduits en captivité dans le pays de l’ennemi. Le texte biblique ajoute que même les instructions du prophète qui lui commandent de se taire n’ont pas d’effet. Elle refuse de se laisser consoler.

On ne peut pas s’empêcher de faire le rapprochement avec ce que nous vivons ces dernières semaines : quelques centaines d’âmes juives se trouvent entre les mains d’un ennemi cruel et retors qui s’ingénie à mettre au point les supplices les plus raffinés qui rendent inopérantes toute contre-mesure. On ne refuse à donner des informations sur l’état et le nombre des captifs, informations pourtant prévues par la Croix Rouge internationale. On ignore même si certaines victimes de cet enlèvement gigantesque sont encore vivantes ou déjà mortes. Des enfants en bas âge, voire des bébés ont été enlevés et ne figurent toujours pas sur la liste des prochaines remises en liberté… (1) L’ennemi est le même que celui dont parle le prophète, lequel laisse tout de même entrevoir un rayon de ciel bleu.

On lit ensuite que l’espoir n’est pas totalement banni puisqu’on peut espérer : tikwa lé aharitékh. Les fils reviendront dans leur pays, ils se réinstalleront dans leur territoire, la terre ancestrale qui leur appartient.

Cette référence à des témoignages remontant à l’antiquité hébraïque montre que le destin du peuple d’Israël ne change pas vraiment. Les moments de paix de son histoire ne sont jamais très espacés ou éloignés les uns des autres Pourtant, après tant d’épreuves et de persécutions, les nuages les plus noirs s’amoncèlent au-dessus de la maison de Jacob. On se croirait revenu au Moyen Âge.

Je me suis souvenu, en écrivant ce texte, d’une phrase d’Abraham Heschel, l’apôtre de l’hassidisme, le théologien juif allemand réfugié aux USA, le grand ami de Martin Luther King qui disait ceci en substance : pour qu’on le considère comme un homme, le Juif doit en faire bien plus que d’autres… Cela m’a fait aussi penser au rabbin allemand Méir Katznellbogen (seizième siècle) qui appelait de ses vœux un traitement égal pour les juifs comme pour tous les autres représentants de l’humanité.

Il demandait en ces termes que l’on cesse de traiter le Juif comme un paria. Et ce n’est toujours pas le cas, son vœu tarde à être exaucé. Mais le Psalmiste nous permet d’espérer comme Jérémie : c’est un moment malheureux pour Jacob mais il réussira à se sauver. (‘Et tsara hi…)

(1) Depuis que cet article a été écrit, des libérations d’otages sont intervenues au compte-goutte, suscitant attente et émotion des familles.

 

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