Le Pont

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Voltaire, la Bible et les juifs: Incrédulité railleuse ou judéophobie ?

Voltaire par Jean-Baptiste Pigalle.

Un homme qui reçoit sa religion sans examen, Ne diffère pas d’un bœuf qu’on attelle. (Voltaire)

C’est la lecture attentive d’un texte de Voltaire, Dieu et les hommes, qui m’a donné envie de revenir sur cette problématique, à savoir Voltaire et la Bible, et donc aussi Dieu et les hommes. J’y reviendrai prochainement dans une seconde recension.

Né à Paris en 1704, François-Marie AROUET, de son vrai nom, Voltaire, est l’inverse de REVOLTE ou celui qu’on veut faire taire, le futur grand écrivain français se signale dès son jeune âge par son esprit frondeur, caustique, moqueur et sarcastique. Les sources de sa culture philosophique son aussi ben les déistes anglais que le libertinage érudit et le libéralisme en général. Il se battra sans relâche pour les droits imprescriptibles des individus, même s’il n’est pas animé des mêmes convictions. Un tel esprit ne pouvait pas s’entendre avec les dogmes religieux, notamment ceux de l’Église catholique.

Voltaire est un esprit curieux, constamment à la recherche d’idées nouvelles. En 1750, il se rend à Berlin à la cour de Frédéric II. Une brouille intervient en 1753, rendant son départ inéluctable. Surtout suite au procès contre le banquier juif Hirschel, coupable d’avoir fait des placements financiers douteux.

Durant toute sa vie, Voltaire se battra pour des causes célèbres : l’affaire Calas (1762), l’affaire Sirven (1764), l’affaire du Chevalier de la Barre (1766) et l’affaire Lally-Tollendal (1776). Mais il se bat aussi pour défendre ses propres intérêts, ce qui a conduit des chercheurs à s’intéresser aux relations de Voltaire avec l’argent : placements divers, argent des princes, commerces en tous genres, droits d’auteur et peut-être même, traite des noirs…

Mais dans ce qui va suivre, je parlerai seulement de la pensée religieuse (sic) de l’auteur et de sa relation à la Bible, plus précisément au Pentateuque dont il niera la mosaïcité. Voltaire combattra sans relâche l’Église catholique, les notions de Révélation, de peuple élu, de vérité révélée (religieuse), etc… La vraie religion est celle qui est gravée dans le cœur de tout un chacun, elle n’enseigne pas l’exclusivisme, mais la tolérance et ne connaît pas la coercition ni de bras séculier.

On l’oublie souvent, mais Voltaire s’est occupé d’exégèse biblique durant plus de quarante ans, ; voici quelques titres parus sur cet inépuisable sujet : les Lettres philosophiques, Dictionnaire philosophique, La Bible enfin expliquée, un Chrétien contre six Juifs :

polémique violente contre l’Ancien Testament et l’Église catholique qu’il cherche à atteindre en attaquant durement ses fondements. Le Traité sur la tolérance, Philosophie de l’histoire, Questions du licencié Zappata, l’examen important, le sermon des cinquante, le Sermon du rabbin Akib, et.c..

Dans ce vaste domaine, Voltaire pouvait s’appuyer sur un bon nombre de célèbres précurseurs et fondateurs de la critique biblique : le grand exégète biblique médiéval, Abraham ibn Ezra, Spinoza et son Traité théologico-politique, sans oublier Histoire critique du vieux Testament (1678) de l’Oratorien Richard Simon. Bossuet avait déployé de larges efforts pour que le lieutenant de police de la Reynie confisque les exemplaires du livre. Un exemplaire fut sauvé et servit de base à la publication qui aura lieu à Rotterdam…

Voltaire veut montrer que le Pentateuque, œuvre fondamentale du judaïsme et du christianisme, ne satisfait pas l’homme en quête de vérité et de morale : incohérences, maladresses dans l’expression, contradictions flagrantes, invraisemblances (Déluges, plaies d’Egypte, nombre de population dans le désert), impossibilité que les livres du Pentateuque aient été écrits par Moïse. Non-mosaïcité du Pentateuque.

Voltaire juge maladroite la défense de l’église entreprise par le Père Huet (Démonstration évangélique (1670). Et d’une manière moins fautive Dom Calmet, Commentaire littéral,. Sans omettre Bossuet, l’évêque de Meaux. Discours de l’histoire universelle.

Voltaire dresse une véritable liste des erreurs du Pentateuque, qui ne se veut pas exhaustive : incohérences du récit de la Création, comment la lumière peut-elle exister avant le soleil ?

Impossibilité d’un Déluge général : comment les montagnes d’Amérique du Sud ont elles pu être immergées ? Il faudrait vingt-quatre océans pour inonder les sommets des montagnes de Quito…

Voltaire souligne aussi l’incompatibilité radicale du Pentateuque avec lois de la physique.

Il conteste la sortie d’Egypte, pas de passage à sec de la Mer rouge. Il liste aussi des impossibilités : la transformation d’Édith (femme de Loth) en statue de sel, la naissance tardive d’Isaac, la grossesse étrange de Rébecca (les jumeaux qui se battent dans le giron maternel de la matriarche), naissance tardive d’Isaac, La prétendue vertu aphrodisiaque des mandragores, Ésaü ne peut pas être né tout velu, Drôle de manière de procéder de Jacob pour faire naître des ovins bigarrés, Invraisemblances des chiffres avancés (600.000 hommes en armes ; 23000 tués par Pinhéas ben Eléazar) par le Pentateuque.

Négation momentanée du libre arbitre du Pharaon par Dieu qui endurcit son cœur afin de le punir encore plus ? Une telle cruauté de la part de Dieu est inconcevable…

Et aussi : comment Dieu peut-il aller jusqu’à dicter à son peuple comment se comporter dans des lieux d’aisance ? Comment Jacob épouse-t-il deux sœurs et leurs servantes ?

Comment Loth, sauvé pour son intégrité morale, propose-t-il d’offrir ses deux filles vierges aux sodomites, à la place des anges venus lui rendre visite ? Comment Caïn a-t’il pu construire à lui seul toute une ville ?

Comment Noé et sa famille ont-ils pu nourrir tous les animaux de l’arche ?

Invraisemblance de l’épisode de Dina, violée par le fils du roi de Sichem et déclenchant la vengeance de ses frères Siméon et Lévy ?

Comment et dans quelle langue l’ânesse de Balaam a-t-elle parlé ?

L’inceste des filles de Loth, comment avoir remis cela deux nuits de suite sans que l’homme (qui a fécondé ses propres filles) ne se soit rendu compte de rien ? Quand on a une relation sexuelle, on sent nécessairement quelque chose ?

Scepticisme moqueur quant à la taille de la grappe de raisin rapportée par les explorateurs en Terre sainte. Comment Abraham, qui fait jurer à son serviteur de ne pas permettre le mariage de son fils avec une Cananéenne se marie-t-il lui-même avec Ketora (cananéenne) ?

Comment Moïse réprime-t-il dans le sang la débauche avec les femmes madianites alors que la mère de ses enfants en est une ?

Enfin, les inconséquences du récit de la création : quand le récit de la création de l’homme est achevé, on dit que Dieu les a créés androgynes, mais plus loin on parle de la femme issue du côté de l’homme…

Si toutes ces critiques sont plus ou moins discutables, on sent poindre aussi une pointe d’antisémitisme, quand, par exemple, Voltaire accuse les Juifs de plagiat. Une influence païenne sur le Pentateuque est indéniable, tant le Déluge que la création de l’homme sont des emprunts à d’autres cultures. Moqueur, Voltaire se demande dans quelle langue le serpent du livre de la Genèse, s’est adressé a Ève ? Enfin, même le rite de la circoncision est d’origine égyptienne…

Voltaire ne recule même pas devant l’accusation d’immoralisme du Pentateuque : il parle de héros cupides malins, menteurs, meurtriers. Les trois patriarches sont des menteurs, accusés (pour deux d’entre eux) d’avoir cherché à prostituer leurs épouses pour de l’argent.

Comment admettre la lapidation d’un pauvre homme qui ramassait du bois mort pour cuire ou réchauffer son repas le jour su sabbat ?

Pour réfuter les contre-arguments de Calmet, Voltaire dit ceci : : nous lui donnerons un merle blanc quand il nous montrera un mouton vert…

Voltaire va encore plus loin dans sa définition du miracle : j’entends par miracle un effet qu’aucune mécanique ne peut opérer et qu’’un être infini peut seul exécuter par une volonté particulière.

Voltaire s’en prend aussi aux anthropomorphismes bibliques ; il va jusqu’à donner cet exemple audacieux : si les chats se donnaient un Dieu, ils le feraient courir derrière les suris.

Alors, qui a bien pu rédiger le Pentateuque : Ezra le scribe ou d’autres ? Qui a été le véritable auteur du Pentateuque ? Ezra, ou d’autres ?

Il est impossible que la horde d’anciens esclaves ait eu connaissance de l’écriture et aient disposé de matériaux sur lesquels écrire ?

Certains toponymes n’étaient pas connus sous ce nom du temps de Moïse ? Et alors comment pourrait-il les citer ? Comment Moïse parle-t-il de sa propre mort ? Et dit-il de lui-même qu’il était très modeste…

Voltaire a dû puiser à de multiples sources pour amasser de si nombreuses critiques. La littérature de ses devanciers est aussi abondante. Je pense, entre autres choses, au médecin Jean Astruc et à son mémoire ;

Conjectures sur les mémoires originaux dont il paraît que Moise se soit servi pour composer le livre de la Genèse avec des remarques qui appuient ou qui éclaircissent ces conjectures (Bruxelles, 1753)

On peut être impressionné par cette verve voltairienne à l’encontre du texte biblique. Mais c’est toublier que la Bible n’est pas un livre d’histoire et surtout qu’elle procède à une lecture théologique de tous ces événements. Il s’agit d’une histoire sainte (Heilgeschiichte)

Comblent qualifier l’exégèse biblique de Voltaire ? C’est une anti-exégèse en ce sens qu’elle combat sans relâche l’exégèse traditionnelle. Mais en s’en prenant au Pentateuque, Voltaire s’en prend aussi aux Juifs. II ne se contente pas de combattre l’exégèse traditionnelle. En s’en prenant au Pentateuque, Voltaire attaque aussi les Juifs : en ridiculisant les principes fondateurs du judaïsme, Voltaire espère priver le catholicisme de ses fondements vétérotestamentaires. Certes, certaines de ses critiques atteignent leur objectif, mais l’orthodoxie ne s’est pas restée les bras croisés et a défendu les textes chrétiens avec force. Dans cette contre-offensive le texte le plus fort est celui de l’abbé Guene, Lettres de quelques Juifs portugais et allemands.

Plus d’un siècle après la mort de Voltaire, Renan stigmatisera sa bouffonnerie en matière de critique biblique. Ce qui n’est pas peu dire.

Que pouvons-nous affirmer au terme de ce rapide survol ? Anti-judaïsme ou antisémitisme ? En tout état de cause, soyons juste, il arrive que Voltaire défende des Juifs injustement accusés ; le serment du rabbin Akib qui rappelle que Jésus est né juif, est mort juif et a vécu comme un Juif.

Je finis avec cette citation d’Isaac de Pinto : apologie pour la religion juive. Ce n’est pas tout de ne pas brûler les gens. On brûle avec la plume et ce feu est d’autant plus cruel que son effet passa aux générations futures.

Je crois que Voltaire a opté pour le déisme qui doit devenir la religion de l’humanité. Par ailleurs, il faut combattre la superstition :

Restez juifs puisque vous l’êtes… Mais soyez philosophes, c’est tout ce que je peux vous souhaiter de mieux dans cette vie.

Si l’on fait abstraction de cet esprit polémique, Voltaire n’a pas tort sur ce point, la meilleure des religions est celle qui est éclairée par la philosophie…

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