Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Vu d’Alger : Le gazoduc reliant le Nigéria à l’Europe

Nous assistons depuis de longues années, comme j’ai eu à le souligner dans plusieurs contributions internationales, à des déclarations contradictoires de la part des différents responsables au plus haut niveau du gouvernement du Nigeria concernant le fameux gazoduc d’une capacité annuelle de trente milliards de mètres cubes, qui devrait alimenter l’Europe, principal client. Sur le plan de la rentabilité économique, entre le tracé passant par le Maroc et celui passant par l’Algérie, selon la majorité des experts, le tracé passant par l’Algérie est plus rentable, Sonatrach étant le premier exportateur de gaz naturel en Afrique, avec une longue expérience et possédant plusieurs canalisations qui permettent de réduire les délais et les coûts inférieurs de 8/10 milliards de dollars à celui passant par le Maroc.

1.- Des responsables du gouvernement du Nigeria se sont engagés envers l’Algérie pour ce même projet. Le 21 septembre 2021, le ministre nigérian de l’Énergie a déclaré dans une interview accordée à la chaîne de télévision CNBC Arabia en marge de la conférence Gastech que son pays a commencé à mettre en œuvre la construction d’un gazoduc pour transporter du gaz vers l’Algérie. Selon le communiqué, les ministres de l’énergie algérien, nigérian et nigérien ont signé, 28 juillet 2022, un mémorandum d’entente de concrétisation du projet de gazoduc transsaharien (le TSGP), qui permettra d’acheminer du gaz nigérian vers l’Europe, selon l’agence officielle Algérie Presse Service (APS). Or voilà que selon l’AFP et le quotidien français le Monde.fr un mémorandum d’entente (un mémorandum n’est pas un contrat définitif, mais une promesse qui peut ne pas se concrétiser ) a été signé le 15 septembre 2022 à Rabat au Maroc, pour la réalisation du gazoduc Nigeria Europe entre la CEDEAO, représentée par le Commissaire Infrastructures, Energie et Digitalisation, la République Federale du Nigéria, représenté par le Président Directeur Général de la Nigerian National Petroleum Company Limited « NNPC » et le Royaume du Maroc, représenté par la Directrice Générale de l’Office National des Hydrocarbures et des Mines, ONHYM.  Comme le démontre une importante étude de l’IRIS du 19 août 2021, le gazoduc reliant le Nigeria à l’Europe, principal client qui doit se prononcer également sur ce projet, est l’objet d’enjeux géostratégiques importants pour la région. D’où l’importance d’avoir une vision économique froide sans sentiments pour sa rentabilité, surtout en ces moments de graves tensions énergétiques en Europe avec la Russie où en 2021, l’Europe dépendait à environ 47% du gaz russe.

2.-Le secteur de l’Energie au Nigeria est marqué par le poids dominant de l’industrie pétrolière et gazière, procurant 75 % des recettes du budget national et 95 % des revenus d’exportation et les réserves prouvées de gaz naturel sont estimées à 5.300 milliards de mètres cubes gazeux. Le gazoduc Maroc-Nigéria, dont le  coût est estimé par l’IRIS entre 25/30 milliards de dollars et la durée de réalisation entre 8/10 ans, devrait mesurer environ 5 660 kilomètres de long. Ce gazoduc longera la côte ouest de l’Afrique depuis le Nigeria, en passant par le Bénin, le Togo, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Liberia, la Sierra Leone, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Gambie, le Sénégal et la Mauritanie jusqu’au Maroc. Il sera connecté au gazoduc Maghreb-Europe et permettra aussi d’alimenter les États enclavés du Niger, du Burkina Faso et du Mali. Et se pose la question où est le Sahara occidental dont le problème n’a pas été résolu. A long terme, il sera connecté au Gazoduc Maghreb Europe et au réseau gazier européen Selon le communiqué conjoint produit à l’issue de cette signature, ce Mémorandum d’entente confirme l’engagement de la CEDEAO et l’ensemble des pays traversés par le gazoduc à contribuer à la faisabilité, aux études techniques, à la mobilisation des ressources et à sa mise en œuvre. Dans la phase de pré-études réalisée le premier trimestre 2019, il s’agit pour les États traversés et la CEDEAO de signer des accords relatifs à sa construction mais aussi de valider les volumes de gaz disponibles pour l’Europe et d’entamer les discussions avec les opérateurs du champ « Tortue » (ressources gazières) au large du Sénégal et de la Mauritanie (ces deux pays ont signé un accord en décembre 2018 afin d’exploiter en commun le champ gazier Tortue-Ahmeyim. Ce projet a pour but de connecter les ressources gazières nigérianes à différents pays africains, existant déjà deux gazoducs dans la zone Afrique du Nord-Ouest, le «West African Gas Pipeline », qui relie le Nigéria au Ghana, en passant par le Bénin et le Togo, et le gazoduc Maghreb-Europe (également nommé « Pedro Duran Farell ») qui relie l’Algérie à l’Europe via l’Espagne (Cordoue) en passant par le Détroit de Gibraltar et le Maroc.

3.-Concernant le gazoduc passant par l’Algérie, il est d’une longueur de 4 128 km, dont 1 037 km en territoire nigérian, 841 km au Niger et 2 310 km en Algérie.  Lors de l’Accord d‘entente signé le 03 juillet 2009, le coût était estimé à 10/11 milliards de dollars mais cela il y a plus de 10 ans. En 2020, il est estimé à 19/20 milliards de dollars selon une étude de l’Institut français des relations internationales IFRI, pour une durée de réalisation minimum 5 années après le début du lancement du projet. Donc le tracé passant par l’Algérie est plus rentable avec des coûts inférieurs de 8/10 milliards de dollars sur le plan économique mais peut exister d’autres considérations politiques. Ce gazoduc doit partir de Warri au Nigeria pour aboutir à Hassi R’Mel, en passant par le Niger. Ce projet pourrait être relié au Transmed, la plus grande canalisation d’un looping GO3 qui permet d’augmenter la capacité de 7 milliards de mètres cubes auxquels s’ajouteront aux 26,5 pour les GO1/GO2 permet une capacité de 33,5 milliards de mètres cubes gazeux. Il est d’une longueur de 550 km sur le territoire algérien et 370 km sur le territoire tunisien, vers l’Italie. Ce projet est stratégique pour l’Algérie qui approvisionne l’Europe à environ 11% et ambitionnant sous réserves d’une nouvelle politique énergétique (Mix énergétique) vers 2025/2027 d’aller vers 20-25%. Selon différents rapports du Ministère de l’Energie cela permettrait d’ honorer ses engagements internationaux en matière d’exportation de gaz  les réserves de gaz traditionnel pour l’Algérie, estimées à environ 2400 milliards de mètres cubes gazeux mais avec une forte consommation intérieure qui approche les exportations actuelles en 2021, plus de 40% et 80% horizon 2030 selon les extrapolations du ministère de l’Energie pourrait représenter en cas de non découvertes substantielles, du statu quo dans le développement des énergies renouvelables, représentant en 2021 environ 1% seulement de la consommation intérieure,  et du maintien de l’actuelle politique des subventions des carburants..

En conclusion, la rentabilité du projet Nigeria Europe suppose trois conditions.  Premièrement, la faisabilité implique la détermination du seuil de rentabilité en fonction de la concurrence d’autres producteurs, du coût et de l’évolution du prix du gaz, ce qui influe sur la prise de décision de lancer un tel investissement, d’où la démarche de lancer une étude du marché pour déterminer la demande sur le gaz avant de trancher sur l’opportunité de s’engager dans ce projet. Deuxièmement, la sécurité et des accords avec certains pays, le projet traversant plusieurs zones instables beaucoup plus pour le projet Maroc que celui de l’Algérie qui peuvent mettre en péril sa fiabilité avec les groupes de militants armés qui déstabilisent la fourniture et l’approvisionnement en gaz. Il faudra impliquer les États traversés devant négocier pour le droit de passage (paiement de royalties), donc évaluer les risques d’ordre économique, politique, juridique et sécuritaire. Troisièmement, facteur déterminant du projet, la mobilisation du savoir-faire et du financement, alors que les réserves de change sont à un niveau relativement faible au 1er janvier 2021, pour l’Algérie de 44 milliards de dollars pour 45 millions d’habitants, le Maroc 36 milliards de dollars pour 37 millions d’habitants et le Nigeria 33 milliards de dollars pour 210 millions d’habitants, devant impliquer des groupes internationaux et l’Europe principal client et sans son accord et son apport financier il sera difficile voire impossible de lancer ce projet.

 

Plus de publications

Professeur des universités, expert international

Articles liés

Réponses