Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Que paye-t-on en psychanalyse ?

Comme partout quand on paye : un certain prix… Mais aussitôt l’équivoque de la langue nous rappelle qu’il y a des prix ne se payent pas, mais qui se gagnent, à l’issue en général d’une compétition. Et ce prix gagné a d’autant plus de valeur que l’effort pour l’obtenir a été plus âpre, qu’on y a mis un plus grand prix en sacrifices physiques, mentaux et aussi bien sûr matériels. Même le savoir, pour en jouir, il faut se l’être fait entrer durement dans la peau, nous rappelait Lacan dans le Séminaire XX, Encore.

Est-ce que le prix gagné fait oublier le prix payé et les peines qu’il a exigées, auxquels rien qui soit de l’ordre du besoin n’obligerait ? C’est qu’en plus des besoins nous avons un surmoi, qui nous harcèle pour que nos vies aient un sens, ou au moins nous soient présentables à notre miroir. En même temps, c’est grâce à ce surmoi qu’on trouve un plaisir certain à faire des efforts, pour ne pas parler d’exploits.

Alors, qu’est-ce qu’on paye dans une analyse, qu’y achète-on et à quel prix, qui serait différent de ce qu’on paye dans la vie normale ? Car, Freud l’a rappelé, à propos de Lear je crois, il n’y a rien de gratuit dans cette vie. Bien sûr, nous avons coutume de dire qu’il vaut mieux payer dans une analyse en argent sonnant et trébuchant que dans sa vie quotidienne, à travers symptômes et actings fâcheux.

Sollicité par ma nouvelle tâche, j’ai donc été voir l’étymologie de payer : ça vient du latin pacare qui veut dire faire la paix. Le mot aurait été, je cite le TLF : « …transféré à la basse époque au domaine moral au sens de «satisfaire, apaiser», d’où le sens développé dans les langues romanes de «satisfaire, apaiser avec de l’argent» ». Achèterait-on alors dans une analyse la paix, qui serait un autre nom de la satisfaction de fin tant commentée ces derniers temps parmi nous ?

On peut payer pour acquérir quelque chose, comme je viens d’en donner l’exemple, mais on peut aussi payer pour s’acquitter d’une dette ; Antonio, Le Marchand de Venise en est pour nous l’incarnation théâtrale. De surcroît et plus souvent qu’à son tour, la dette a pu être contractée par les générations précédentes, Ernst Lanzer, dit l’homme aux rats, tout empêtré qu’il est dans son scénario délirant de remboursement du lorgnon, en est pour nous l’incarnation clinique. Enfin, à l’inverse, si le désir est une quête, ne paye-t-on pas à la commande une livraison anticipée, et qui n’est jamais que supposée, avec le risque de se faire arnaquer… ?

L’image de ticket d’entrée de la Proposition ajoute l’idée qu’il faut payer pour prendre part à l’expérience d’une analyse. Lacan le dit déjà dans ses Remarques sur le rapport de Daniel Lagache : « C’est là un champ où le sujet, de sa personne, a surtout à payer pour la rançon de son désir. » La rançon, ça renvoie évidemment au prisonnier, nous n’insisterons pas sur ce point…

Mais nous aurions tort d’oublier que l’analyste paye également, son écot dit Lacan dans la Direction de la cure, p.587 : « Disons que dans la mise de fonds de l’entreprise commune, le patient n’est pas seul avec ses difficultés à en faire l’écot. L’analyste aussi doit payer… » On le sait, Lacan en décline trois formes : de mots, de sa personne, enfin de son jugement le plus intime.

Chez l’un donc le prix en livre de chair, chère chère livre de chair, pour une castration que l’on espère métaphorisée ; chez l’autre le prix en réduction au signifiant quelconque pour son « désêtre » en acte. Entre les deux, quelle est la place et la fonction de l’argent ? Cet argent que Lacan qualifie dans « La lettre volée » de « signifiant le plus annihilant qui soit de toute signification » ?

Or, nous sommes à une époque où le marché commande de façon croissante à nos liens, mais où l’argent fiduciaire, dit plus couramment liquide, est voué à disparaître. En même temps, les soins et le bien-être passent pour être dus gratuitement à chacun. L’argent a-t-il alors la même fonction dans la cure que du temps de Freud et de Lacan ?

Parmi toutes les questions et méditations auxquelles nous invite pour l’année à venir ce thème, et pour conclure par le psychanalyste : l’accès à son désir a-t-il un prix spécifique au regard de ce que nous pourrions appeler le désir tout court, celui qui court et ne cesse de courir ? Et indépendamment de sa pratique, la vie du psychanalyste n’a-t-elle pas elle-même un prix spécifique ?

 

Ce texte de Marc Strauss, psychanalyste, sert d’introduction aux journées nationales de l’EPCL qui se tiennent à la Maison de la Chimie les 26 et 27 novembre 2022.

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Psychiatre, psychanalyste

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