Transhumanisme : progrès ou dérive ?


L’espoir de l’Amérique se tourne vers Mars, celui de la Chine aussi ; l’Europe a honte de son retard… Le pouvoir infini de la machine dont l’intelligence dépasse celle de l’homme qui l’a créée avait -presque- cessé de préoccuper le grand public. Les années Covid avaient ramené la science à ses limites, pensions nous. Et s’élève dans la politique mondiale un ouragan de compétitions qui fait que la plus grande puissance économique et politique du monde a pour des conquêtes illimitées les yeux de Chimène…
C’est donc le moment de retrouver LEURRE ET MALHEUR DU TRANSHUMANISME, d’Olivier Rey, publié en 2019. La morosité ambiante existait déjà, donc, pour l’oublier, on faisait grand bruit des progrès de la science, annonçant que l’homme est prêt à la fois d’accéder à une vie plus longue et à des capacités physiques et intellectuelles jamais atteintes… Chaque succès de la recherche et de la technique nous rapproche d’une nouvelle espèce au-delà de l’homme. Des romans suggèrent même qu’une société idéale pourrait être refondée (un jour) par les meilleurs des voyageurs de l’espace revenus sur terre avec tous les outils pour un gouvernement global éclairé. Avec le transhumanisme s’ouvrait un nouvel âge ! Celui où la mythologie grecque avait placé le HEROS : pas l’égal des Dieux mais très avantagé par des facultés que les humains n’ont pas. Tant de progrès dans le fonctionnement de nos organes et dans les prothèses (miniaturisées) ouvrait de magnifiques perspectives ….
Des publications sérieuses exaltaient d’autant ce futur que les inquiétudes ne manquaient pas quant à la stabilité du monde (ce qui se retrouve en 2024 quand la France s’obstine à s’affoler des élections américaines pour masquer un peu les conséquences de ses propres scrutins). Avec des réserves morales cependant : L’homme augmenté pourra -t-il être n’importe qui d’entre de nous ? Seulement les plus riches ? Seulement les Chinois et/ou les Américains ? La mort sera-t-elle un jour vaincue ? Le visage de l’homme augmenté sera-t-il plaisant, hideux ou androïde ?
Attention, il convient d’y regarder de près : le transhumanisme « promet une adaptation à un environnement technologique si hégémonique qu’il ne respecte même plus l’intégrité corporelle » … Voire, cette adaptation devient même « une exigence pour la simple survie », des images de visages rafistolés, truffés de microprocesseurs pour remplir les fonctions essentielles, de robots grinçants appelés hommes fleurissent qui devraient au moins faire frémir ! Ainsi le corps humain (la chair, les cellules, le déterminisme de l’usure) serait-il le maillon faible du progrès de l’humanité ?
Le mathématicien et philosophe Olivier Rey soulève cette grave objection ; il accuse dans le monde actuel l’artificialisation de la procréation, le saccage par cette course au mieux-être personnel du lien familial et social sans quoi l’homme ne sait pas grandir, le rejet de ce qu’on a mis des siècles à définir comme l’humanisme. Il s’effraie de la perte de la civilité, du respect des vérités démontrées, de l’impossibilité de cette vie en bonne santé (qu’a reconnue l’OMS comme devant dépasser le bon fonctionnement des organes). Il déplore surtout l’illusion d’un dépassement au prix du recul de la nature telle que l’ont vécue et aimée nos pères (ce qui dans l’esprit des Lumières est le chemin vers le sens moral).
Dans le camp des religions du Livre, qui commence par la Genèse, la résistance au transhumanisme est évidente. Peut-on oublier la Chute ? Tel résista Descartes, homme de sciences, qui savait « ne pas connaitre les desseins impénétrables de Dieu » … A l’opposé, Bacon, anglais et réaliste, voulut « connaitre les choses pour ce qu’on pouvait en faire », il sortait donc la créature de ses origines …
Survint un virus qui balaya un million d’hommes et secoua les États, gouvernements et économies, dans l‘impuissance de mesures politiques et sanitaires désordonnées… On fut forcé de conclure : « le transhumanisme est mort » ; la science humaine ne peut vaincre la nature. Il n’était pas mort, la science avançait mais on n’en parlait plus autant.
Cinq ans plus tard, l’essai d’Olivier Rey auquel sont empruntées ces sages réflexions reste salutaire lorsqu’il nous ramène à l’essentiel, c’est-à-dire à nous-mêmes… tout simplement. Tout d’abord parce qu’il accuse les transhumanistes de prétendre que tout le monde rêve d’être augmenté sans limite alors que ce projet n’a jamais préoccupé qu’une infime minorité côté Silicon Valley. Il proteste : tout le monde veut être bien soigné quand il souffre et le mieux possible. Mais une vie pleine, c’est celle qui a beaucoup donné, elle n’a pas de raison d’être prolongée indéfiniment. Il dénonce cette solitude du grand âge qui ne trouve pas d’écoute dans notre société éclatée : serait-ce opportun d’avoir des appétits démesurés, de rêver de conquêtes, d’immortalité ?
Livre salutaire ensuite parce qu’il accuse justement les transhumanistes d’être pilotés par de gigantesques intérêts économiques ; ceux-là qui créent le besoin de consommer des biens, de désirer toujours, de n’avoir comme horizon qu’une jouissance renouvelée. Et qui fabrique des milliardaires et non pas des hommes meilleurs. En allant plus loin dans l’amélioration, Hitler n’a-t-il pas une part de transhumanisme dans sa doctrine de sélection (comme le dénonce Simone Weil) ?
Livre salutaire quand l’énoncé que l’homme est capable de … désigne en fait une capacité qui n’est pas celle de tous, mais que chacun croit pouvoir s’approprier par le biais de l’information. Qui se déverse, dévorante, incomplète, biaisée et stérile.
Olivier Rey récuse l’idée que l’avenir sera meilleur. Il rejoint Walter Benjamin qui a peur des anges du progrès. les Anciens voyaient l’Age d’Or dans le passé, les Modernes (les marchands) le voient dans le futur.
Chaque début d’année nous souhaitons à nos proches qu’elle soit bonne ou belle, tout en sachant que la précédente apporta au moins autant de malheurs que de bienfaits et que ce sera sans doute pareil, une fois encore…
Pourtant, lisant dans cet ouvrage l’éloge des temps anciens présentés comme plus humains, il est difficile de ne pas être frappé par un défaut dans le paysage. Harmonie avec la nature et tout le reste du vivant ? La moitié de l’humanité est constituée de femmes ! Aucune ne voudrait retourner aux temps idylliques où (dans des traditions qui la corsetaient) elle plumait la volaille avec un enfant dans son ventre et un petit dernier vagissant qui risquait de mourir ! Vive la femme augmentée ! De soins, de contraception et autres commodités médicales et électroménagères ! Tout ceci obtenu grâce à la science, les technologies et la sollicitude… du mari américain !
Maitrisons-nous l’avenir ? Certes non : il y aura forcément de grands changements. Que lisons nous aujourd’hui ? Que la science, les technologies sont en route vers un futur dont on dévoilera le visage très vite : les capacités de l’IA représenteront des milliers de fois celle de l’homme. Plusieurs scénarios sont possibles dont celui où il n’aura plus qu’à accepter sans explication que son destin ne lui appartienne pas ? …
Avec désespoir ou soulagement ? Et sans savoir pourquoi ? Est-ce là l’homme augmenté ?
Sur une planète de démiurges et d’inutiles où la liberté, l’égalité, la fraternité vont-elles avoir un sens?
Sur une planète peuplée de demiurges et d’inutiles verra-t-on, comme dans ces bonnes vieilles sciences fictions, des androïdes bardés de microprocesseurs se battre d’une galaxie à l’autre animés par l’honneur, le respect de l’engagement, la défense des plus faibles… et la peur de la mort ?
Sur une planète peuplée de demiurges et d’inutiles où est passée la Création ?
A partir de LEURRE ET MALHEUR DU TRANSHUMANISME par Olivier Rey éditions Desclée de Brouwer, 2019
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Jeanne Perrinhttps://lepontdesidees.fr/author/jperrinauteur/
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