Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Vers la guerre – Sébastien Lecornu

Jeanne Perrin

À propos du livre de Sébastien Lecornu : VERS LA GUERRE aux éditions Plon

La préface déclare : « Les grands pays le sont pour l’avoir voulu ». La référence de l’auteur est gaullienne, le ton le restera.

« Vers La Guerre » est un document. Sous la plume d’un ministre de la Défense lui-même, il contient un état des lieux et des préconisations. Il fustige la paresse, les préjugés ou la désinformation autant que le mauvais usage d’un budget déjà trop réduit !

Les Français ont de plus en plus compté sur les autres pour se protéger. Dans les années 60, le budget de la Défense représentait 5% du PNB. Ensuite l’opinion s’est plu à une forme de « bonne » conscience, et le pouvoir aussi : N’est-il pas plus vertueux de dépenser pour le bien public que de nourrir les marchands d’armes ? Et pourquoi, pour qui, jouer au soldat ? … Aveugle au monde réel, on a vilipendé l’industrie de l’armement ; on a resserré ce budget qui ne représente plus en 2022 que 1,9 % du PIB …

Un grand pays ? Non, cette politique irréaliste nous laisse très affaiblis, et désormais en danger.

Pour dissuader d’une attaque, il faut savoir montrer sa force : où sera demain la force si les conditions d’un sursaut ne sont pas réunies, avec une ambition et les moyens de sa réalisation ?  Certes nous avons des effectifs bien plus réduits faits de professionnels efficaces aujourd’hui, tandis que l’armement et la haute technologie étant inséparables, le matériel concerne un champ de plus en plus vaste. Situation nouvelle : c’est la technologie dont les progrès autorisent un armement efficace et non pas, comme ce fut il y a cinquante ans, les progrès du militaire qui boostent l’industrie.

Si la fin de la guerre froide a permis de supprimer la conscription en 1997, l’affaiblissement de l’URSS n’a empêché en rien les conflits de jaillir successivement, pas forcément là où on les attendait. Nous sommes face, à la fois à l’internationalisation des conflits, à la militarisation de l’espace, et au terrorisme, le pire que l’on pût craindre. Le djihadisme présent partout exige énormément de renseignement, des forces d’intervention puissantes et rapides : il coûte sans cesse des vies. Tandis qu’il s’arme en Afrique et au Moyen Orient, l’armée de terre française, réformée en profondeur, y reste présente, en mode d’intervention rapide, appuyée désormais aussi sur les forces maritimes et aériennes munies d’un maximum d’équipements de pointe.

Course aux outils nouveaux, sans cesse dépassés… Tout ceci coûte cher…

Les « marchands » d’armes ? Soyons réalistes : Ces équipements, le fabricant doit les exporter ; pour amortir leur énorme coût il faut des séries, donc avoir des commandes, et pour le prestige il faut proposer le meilleur. Sur toutes les terres, dans les airs et en mer… Les autres pays, anciens ou dits « émergents, le font avec acharnement. La compétition scientifique s’étend à tous les domaines d’activité à la fois. Sur ce sujet, Sébastien Lecornu déplore la faible coopération européenne : c’est qu’il reste une « loyauté » vis-à-vis de Washington » (le deuxième mandat de Trump la mettrait-il à mal ?) qu’Emmanuel Macron a dénoncé en demandant que les membres de l’Union Européenne s’obligent à un minimum de préférence (les droits de douane vont-ils y aider ?). Hélas, des équipements partiellement étrangers provoquent eux aussi une dépendance définitive par rapport à ces fournisseurs. Une autre épine dans le pied des fabricants : les normes pointilleuses qu’on peut utiliser pour rejeter un produit civil ou militaire.

L’engagement dans un conflit implique l’anticipation, l’économie des pertes humaines et un réservoir d’outils : c’est à cette occasion que l’intelligence artificielle (venue du « civil ») joue un rôle : une rupture comme déjà dit, par rapport au temps où les recherches militaires nourrissaient l’industrie. Les drones par exemple ont pris leur part dans les batailles après avoir servi surtout à survoler des lieux inhospitaliers pour des recherches géographiques ! Cette rupture est mal acceptée dans les arbitrages budgétaires en France où traine un relent de conservatisme. Dur d’accepter la dépense en nombre d’un outil « rustique », quasi « acheté sur étagère » qui « aide le combattant pour le renseignement tactique /opératif », à fournir en quantité, quand on rêvait de s’équiper de rares pièces de « lourd », de ces beaux bijoux de famille ! Le ministre demanda haut et fort de « ne jamais revivre l’échec des drones ! ». Il demande aussi de prendre acte de la vitesse incroyable des nouveautés qui rendent obsolète un programme. En 2023 il a créé l’Agence Ministérielle pour l’Intelligence Artificielle de Défense AMIAD qui recrute … chez les GAFA… On a besoin de vitesse, de souplesse ! Les sortants des Grandes Ecoles sont prêts pour les technologies quantiques ce qui ouvre de belles perspectives ; il n’y a pas à hésiter.

Concernant le renseignement la France est en bonne position. Les fake news qui déferlent prouvent qu’à travers la sphère numérique des organes déstabilisent un public qui, lui, croit pouvoir juger de tout : Viginium a été créé en 2021 pour détecter et protéger des ingérences numériques étrangères.

D’autre part, l’appareil sécuritaire doit être accordé à la diplomatie : concernant plusieurs pays voisins de l’ancienne URSS, il n’y a pas eu de politique claire et nous sommes coupables d’abandon à des périls sérieux… On ne peut les citer tous tant ils posent problème. Quand la France dit qu’il faut respecter le droit international, ce doit être d’une seule voix et avec les moyens de la défendre. Nous devons protéger nos alliés. La guerre d’Ukraine dure assez pour nous alarmer. Elle fait éclater au grand jour la discorde et l’impuissance des forces de l’OTAN et les hésitations européennes.

Concernant les projets d’équipement indispensables à mettre en œuvre ou à abandonner Sébastien Lecornu cite : un nouveau porte avion nucléaire, un Iron dome contre les missiles… Avant d‘en dire plus, on est tenu après la lecture de « Vers La Guerre » de se renseigner aussi sur ce que sont les ordinateurs quantiques !

Il y a dans ce livre un sujet qui est touchant de la part d’un document plutôt technique, c’est le rapport de l’armée avec la société française : sujet qui a connu le pire lors de la guerre d’Algérie et qui est maintenant apaisé par la suppression de la conscription ; mais là est le problème. Il persiste un antimilitarisme qui se donne des airs « informé ». Pour trop de Français, l’armée est « dans son coin », hors champ des problèmes quotidiens, vaguement inutile sinon incompétente. Pourtant les menaces sur le Cyber doivent donner envie de décloisonner : les collectivités locales, les grandes entreprises sont concernées, toutes les formes d’administration doivent profiter du savoir-faire de l’Armée (partout dans les territoires on doit prévoir les contact à prendre à proximité ou au sommet : l’alerte ne s’annonce pas !). Dialoguer donc avec l’Armée, laquelle doit rester discrète (la Grande Muette) et efficace.

Il y a un principe singulier qui a été jeté aux oubliettes avec les chants patriotiques dans la cour d’école de nos parents. C’est la relation particulière du militaire avec la mort. Celle-ci n’est ni paralysante ni effrayante : dans un conflit, pour gagner, l’Homme d’aujourd’hui va rester en première ligne. C’est ce qu’on appelle l’« armée d’emploi » qui participe constamment à de nombreuses opérations. De cet homme engagé, « on ne prendra pas sa vie, il s’agit pour lui de la donner ». La mort au champ d’honneur n’est pas un simple accident du travail, c’est l’accomplissement du sacrifice ultime dans le contrat conclu avec la patrie. Alors l’armée tout entière est touchée, l’institution se mobilise totalement. Le pays est présent dans l’hommage en la personne d’un très haut représentant : il ne vient pas là pour être photographié, il incarne l’émotion et le respect de tout un peuple… C’est une question politique, au sens noble du terme que de l’expliquer aux jeunes générations. C’est un devoir que d’éclairer une société d’autant qu’on la voit en perte de repères.

En conclusion, « la loi de programmation militaire concerne chacun »

Pour les élus ou les éligibles, la comprendre et la soutenir n’est pas ce qu’il y a de plus séduisant dans les promesses de campagne… Mais le monde est plus dangereux que jamais ; le combat terrestre n’est pas démodé, la guerre des étoiles existe vraiment. Si nous avons oublié à quel point une énergie dirigée vers la Défense est nécessaire, nous sommes en danger. Restons lucides et déterminés… « Pour faire face » !

Jeanne Perrin

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