Le Pont

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Zemmour : Trois petits tours chez de Gaulle, et puis…

En citant le Général, le candidat d’extrême droite concurrent de Le Pen voudrait faire croire qu’il est gaulliste. Mais il oublie la fameuse répartie gaullienne « C’est pas la gauche, la France ! C’est pas la droite, la France ! » Il oublie surtout que de Gaulle parlait et agissait en regardant l’avenir. Non en cultivant la nostalgie d’un passé réinventé.

Sa parodie d’Appel du 18 juin, prononcée le 30 novembre sur fond de bibliothèque à l’ancienne et devant un micro « collector » des années 1940, aura-t-elle été « le coup de trop » ? Certes, elle a été regardée sur YouTube par plusieurs millions de Français. Mais, en attisant à la fois les moqueries et les indignations, elle a fragilisé l’ex « polémiste » Eric Zemmour, désormais candidat à l’Élysée. Pour la première fois, ses déclarations prétendument inspirées du Gaullisme lui ont valu de sévères réactions des détenteurs de la légitimité gaulliste. Dès le lendemain du discours de Villepinte, longue plaidoirie pour la restauration d’une France des siècles derniers, la Fondation Charles de Gaulle dénonçait des « références approximatives et même parfois délibérément abusives, jusqu’au mensonge… ». Deux petits-fils du Général montaient au front pour contredire la fable selon laquelle le maréchal Pétain aurait « sauvé des juifs » : « Quand vous entendez certains personnages médiatiques dire que Pétain a sauvé des familles juives, moi, ça me choque profondément ! », s’exclamait Guillaume de Gaulle après que son cousin Yves eut moqué « une immense ânerie ».

Colombey les- deux- mosquées

Pourquoi Zemmour a-t-il cru bon de se faire l’avocat d’une réhabilitation de Pétain ? Alors que sa popularité s’envolait, pourquoi a-t-il relancé la polémique sur un thème qui réveille tant de souvenirs douloureux, mais aussi de haines? Une idée de Patrick Buisson, l’ancien conseiller de l’ombre de Nicolas Sarkozy, pour « purger le déshonneur et ressouder enfin un camp divisé », comme le suggère Etienne Girard dans son livre « Le Radicalisé[1] »? Une suggestion de Jean-Marie Le Pen, dont l’une des plaisanteries favorites est « Si Pétain a fait don de sa personne à la France, de Gaulle a fait don de la France à sa personne » ? Un rêve paradoxal de rassemblement de la droite de 2021 derrière une bannière d’il y a 80 ans : « De Gaulle, l’épée, Pétain, le bouclier » ? « Cette formule, ressortie périodiquement par des historiens improvisés, aurait donc encore cours? » s’étonne ironiquement l’historien François Kersaudy  (Dont les ouvrages sur de Gaulle, Churchill, MacArthur, Goering et Kersten, traduits dans le monde entier, font autorité) Apparemment oui. Car la véritable Histoire est trop complexe. « Plusieurs décennies plus tard, constate Kersaudy, il reste impossible de rappeler qu’en 1960, de Gaulle craignait de voir ce qui se passait en Algérie se reproduire chez nous. » Et de conclure dans un rire : « Comme disaient les dissidents soviétiques : « Chez nous, l’avenir est bien connu… C’est le passé qui change tout le temps !»

Il serait donc interdit de citer certains propos du Général, relatés par Alain Peyrefitte dans les trois tomes de C’était de Gaulle ( de Fallois-Fayard ) et publiés plus de vingt ans après la mort du héros. Par exemple, l’avertissement lancé en 1964 par le président français au président algérien Ben Bella « Cessez de nous envoyer des travailleurs migrants. Vous avez voulu l’indépendance, vous l’avez. Tous les Algériens disposaient d’un an pour opter pour la nationalité française. Ce délai est largement passé. Nous n’en admettrons plus. Débrouillez-vous pour les faire vivre sur votre sol ! » . Mais surtout, la boutade lâchée en 1959 devant le jeune ministre et mémorialiste Peyrefitte « Si nous faisions l’intégration, mon village ne s’appellerait plus Colombey les Deux Eglises, mais Colombey les deux Mosquées !»

Ni le style ni le projet du Général

Cette censure du Général par ses propres partisans mais aussi, ces oublis collectifs de l’histoire des années 1940 permettent à Zemmour de la réécrire. Qui se souvient que Pétain avait entre 84 et 89 ans sous l’Occupation, soit l’équivalent de 94 à 99 ans aujourd’hui ? « Et qui se souvient, ajoute Kersaudy, de cette répartie de De Gaulle à Churchill dès 1940 : ‘‘Le Maréchal ! Il y a deux heures de Maréchal par jour…’’ Zemmour et ses conseillers auraient dû lire les Mémoires de Guerre : ‘’Sous l’apparence de la fermeté, derrière l’abri de la ruse, écrit de Gaulle, le Maréchal n’était qu’une proie offerte aux intrigues serviles ou menaçantes ». Mais le but du candidat n’est-il pas d’abord de se poser en libérateur de la parole ? Afin de faire oublier l’essentiel : ni son style ni son projet ne sont gaullistes.

Voyons le style. Flattés que le nouveau tribun les abreuve de références historiques et de citations de Chateaubriand, Hugo, Balzac, Bainville, etc, les Français séduits par Zemmour ne semblent pas choqués par la grossièreté de ses gestes et de son langage face à ses adversaires. Qui imagine, pourtant, le Général faisant un doigt d’honneur…? Ce n’est pas qu’une question de génération. Pour qui prétend parler au nom de la France, c’est une question de dignité. Certes, de Gaulle maniait un humour féroce. Dix ans, vingt ans après sa disparition, on apprendrait par les témoignages de ses fidèles qu’il ne pestait pas seulement contre les « veaux » et les « cons ».  Mais sur la scène publique, quelle tenue ! Il ordonna même aux siens de ne pas lancer d’attaques personnelles contre François Mitterrand – lequel ne se privait pas de le comparer au Duce, au Caudillo, voire au Führer – cela, afin de ne pas dégrader l’image d’un homme qui pourrait devenir un jour chef de l’État. Tandis que Zemmour ! Sa vie privée ? Oubliant la fonction d’ « incarnation » d’un président de la République française, il affirme, agacé : « Elle ne regarde que moi. Les Français s’en moquent ». Ses gestes ? Ses réparties en public ? A Bruno le Maire, le brillant ministre énarque et normalien invité à débattre avec lui sur France 2, il lance « Vous dites n’importe quoi ! Vous avez mal lu votre fiche ! Vous mélangez tout. Vous n’êtes qu’un gaulliste de pacotille !» Et sur Emmanuel Macron, président de la République française :« Un adolescent qui se cherche. Un type qui n’est pas fini. Le grand vide »..

« Changer la figure de la France »

Ce style oratoire est évidemment plus proche de celui de le Pen père que de celui de De Gaulle. Mais voyons les thèmes. Même à Londres, alors que la France est « au fond de l’abîme », de Gaulle prêche l’espérance. Il ne s’agit pour lui ni d’un retour aux « années folles » d’entre deux guerres ni de la résurrection d’un « grand siècle » fantasmé, mais de la construction collective d’une « France nouvelle, grandie par l’effort ». A la Libération, il constitue un gouvernement où siègent cinq ministres communistes. A son retour au pouvoir en 1958, il s’appuie à la fois sur la droite des « Indépendants » d’Antoine Pinay, la gauche radicale socialiste et la SFIO de Guy Mollet. Principe de réalité, mais toujours aussi volonté de « réaliser la concorde nationale ». Sans cesser d’appeler chacun à l’effort pour un « progrès économique, technique et scientifique dont tout le reste dépend et qui change à un rythme rapide non point certes l’âme, mais la structure et la figure de la France » (Charles de Gaulle, Discours et Messages, tome IV, Plon. Allocution du 31 décembre 1962).

Effort ! Vous avez dit « effort » ? Ce mot ne figure pas dans les discours de Zemmour. Pas plus que celui de dignité.

Christine Clerc est journaliste, écrivain, auteur de quatre ouvrages sur de Gaulle ” Les de Gaulle, une famille française”, « De Gaulle-Malraux, une histoire d’amour, ” Le Tombeur du Général ” et ” Adieu la France! Pourquoi de Gaulle est parti”.

[1] Enquête sur Eric Zemmour, Seuil

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Journaliste et écrivaine

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