Dépense publique et pouvoir d’achat
Christian Saint-Etienne
En 2021, le déficit public a atteint 161 milliards d’euros et devrait se maintenir au-dessus de 160 milliards d’euros en 2022, même si en pourcentage du produit intérieur brut (PIB) il devrait passer de 6,4% à 6% de 2021 à 2022. La dette publique se maintiendra au-dessus de 110% du PIB en 2022 comme en 2021.
C’est dans ce contexte que le gouvernement a présenté un projet de loi augmentant les dépenses publiques de 20 milliards d’euros qui seront financées par l’emprunt. Les pensions de retraite et d’invalidité ainsi que les prestations familiales et minima sociaux (Revenu de solidarité active – RSA-, allocation aux adultes handicapées – AAH – et allocation de solidarité aux personnes âgées – Aspa-) vont être revalorisées de 4% comme les bourses sur critères sociaux pour les étudiants. L’AAH est déconjugalisée. La redevance audiovisuelle est supprimée et la remise sur carburant est amplifiée. Le bouclier tarifaire sur les prix du gaz et de l’électricité est prolongé jusqu’à la fin de l’année. Les rémunérations de la fonction publique augmentent de 3,5%. Un chèque alimentaire est créé. Le plafond de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat défiscalisée et désocialisée, dite prime Macron, sera triplée. Etc.
La Cour des comptes a indiqué dans un rapport du 4 juillet 2022 que la croissance des dépenses publiques sans lien avec la pandémie est considérable. Les recettes du seul Etat n’ont couvert que 60% de ses dépenses en 2021 et cette proportion n’augmentera que marginalement en 2022. Les dépenses de l’Etat ont augmenté de 91 milliards d’euros sur les deux années 2020-2021, les dépenses hors mesures de soutien et de relance ayant progressé de 18 milliards d’euros.
Les finances publiques de la France depuis 2020 peuvent se résumer en deux mots : ‘open bar !’. Le point clé est que non seulement cela ne gêne pas la classe politique mais que cette dernière ne conçoit la politique publique, de l’extrême gauche à l’extrême droite, que comme une distribution de bonbons financée par de la dette publique. Une attitude confirmée par les propositions rappelées ci-dessus concernant le plan de protection du pouvoir d’achat en juillet 2022.
La dépense publique, qui était en moyenne de 55,5% du PIB en 2018-2019, a grimpé à 61,4% du PIB en 2020 mais n’est redescendue qu’à 59% du PIB en 2021 et devrait s’établir à 58% du PIB en 2022. La dépense publique devrait atteindre en 2022, un peu moins de 49% du PIB en Allemagne et 49% du PIB dans la zone euro hors France. L’écart de dépense publique de la France par rapport aux autres pays de la zone euro est donc de 9 points de PIB et le déficit public, à 6% du PIB en 2022, devrait être proche du double du déficit public moyen des autres pays de la zone euro.
Dans les analyses comparées de la dépense publique entre la France et ses voisins, on invoque toujours des écarts de périmètre, davantage de missions étant publiques dans notre pays. Mais même en comptant large dans la prise en compte de ces missions (retraites, armées, écoles maternelles, investissement public, etc.), l’écart de périmètre n’explique que 1,5 point de PIB de sur-dépense. La pandémie ayant focalisé l’attention sur les hôpitaux, il est apparu que les administratifs représentaient 22% du personnel hospitalier en Allemagne contre 33% en France, soit une différence de plus de 120 000 personnes. Au lieu de restructurer le système, on exige toujours plus de crédits et de personnels pour régler un problème de désorganisation massif. De même, la redondance des missions dans les dépenses des collectivités locales est considérable et ne peut être traitée que par une réorganisation du bloc communal en plaçant les élections locales au niveau des intercommunalités dont les communes deviendraient des subdivisions. On passerait de 35 000 à 1200 budgets locaux avec des économies substantielles.
Les Universités ne peuvent pas sélectionner leurs étudiants et de 10% à 15% des étudiants boursiers n’assistent pas aux cours sans qu’aucune sanction ne soit prise. L’absentéisme dans la fonction publique est élevé sans réaction des autorités publiques qui ferment les yeux.
La France a donc un énorme problème d’efficacité et de responsabilité de l’action publique. A chaque crise, les mêmes réflexes de dépense agissent sans contrepartie de contrôles et d’évaluation de l’efficacité de l’action publique. Or la performance de l’économie française est catastrophique avec une croissance moyenne de 1,1% depuis vingt ans. L’inefficacité de la dépense publique est un des principaux freins à notre développement.
Il existe pourtant une alternative à la dépense publique pour créer du pouvoir d’achat en portant la semaine de travail de 35h à 37h payées 37 heures, soit une augmentation de 5,7% du pouvoir d’achat réel résultant de la création de richesses nouvelles. Mais personne ne semble envisager une sortie de crise par un effort de travail et d’investissement. Dans un contexte de hausse des taux d’intérêt, la création d’un pouvoir d’achat fictif sur endettement ne peut qu’aggraver les problèmes structurels de l’économie française.
Universitaire, économiste, professeur émérite, CNAM.
Auteur du "Libéralisme stratège" aux Editions Odile Jacob.
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