Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Que reste-t-il de la Ve République ?

Demain la Ve République, 414 pages, 23 euros, éditions Perrin

Voilà un ouvrage qui tombe à pic, au moment où notre pays connaît une crise politique importante, propre à remettre en cause le cours de nos institutions. « Demain la Ve République ? », placé sous la direction de Hervé Gaymard, Président de la Fondation Charles de Gaulle et de Arnaud Teyssier, grand spécialiste de la question gaullienne, avec à leurs côtés une vingtaine de contributeurs du plus haut niveau en la matière. Un livre qui a le mérite de poser les bonnes questions en dressant un « inventaire » prospectif et clarifiant sur la conduite de nos institutions sans parti pris aucun, se voulant être d’abord un outil de réflexion en profondeur, plutôt qu’un plaidoyer intempestif et cautérisé pour les circonstances. Certes la figure tutélaire et emblématique du Général de Gaulle est omniprésente tout au long de l’ouvrage, sans pour autant être rébarbative et outrancièrement insistante. La question étant essentiellement de savoir si soixante ans plus tard, la Constitution de 58 reste encore adaptée à l’évolution de la société française du XXIème siècle et dans quelles conditions ? « Crise de confiance dans les institutions ? Peut-être même désespérance démocratique ? Le phénomène est-il donc si grave ? Quelles en sont les causes les plus visibles ? » (P.15) Pour Hervé Gaymard la réponse n’est pas aussi simple qu’elle n’y parait compte tenu du contexte national. Il observe d’ailleurs à cet égard une prudence de bon aloi. L’ancien Ministre sait de quoi il en retourne de l’exercice du pouvoir au quotidien. Il ne suffit pas d’agir au nom du bien commun, mais aussi savoir penser juste. Anticiper parfois. L’erreur de gouvernance s’avère parfois fatale.

« Un gouvernement doit avoir les moyens d’agir –ne rencontre plus le même consensus qu’en 1958. D’une part d’autres « légitimités » s’affirment, face à elle, pourtant irréfutable, de l’élection : elles sont véhiculées par les réseaux sociaux qui sont trop souvent « un grand dégoût collecteur » ; comme aurait pu dire Péguy. En gros dès le lendemain de son élection, un élu n’est déjà plus légitimé… » (P.16)

Puis plus loin :

 « C’est en fait l’amont de l’élaboration, de la discussion et du vote de la loi qui pose problème en France aujourd’hui. Ce que les élus locaux savent faire au plan local (comités de quartiers, projets citoyens, consultations de toutes sortes), n’existe pas au plan national. »(P.16 – 17).

 Savoir gouverner en amont, ou le principe de précaution en politique

Mais qu’en est-il de ce fameux « amont », expression singulière reconnaissons-le ou bien alors « transversale » ? que l’ancien Ministre justifie. Soit une introspection plus concordante avec la réalité de notre pays, qui désormais doit tenir compte plus concrètement d’une France décentralisée et territorialisée ? Avec en arrière plan l’idée d’un ancrage plus profond dans l’échelon de proximité. De ce point de vue Hervé Gaymard en sait quelque chose lui qui a crée voici quelques années au sein de son département de la Savoie, un outil territorial novateur, modélisé et performant regroupant 43 communes, à la géographie et l’amplitude économique distinctes, qui considère que la consultation citoyenne à la base rend la méthode de gouvernance plus efficace et logiquement plus pérenne. D’ailleurs Arnaud Teyssier semble vouloir abonder dans son sens en abordant de plain-pied la question de la « verticalité du pouvoir », que l’actuel Chef de l’Etat semble affectionner. « Pour de Gaulle, par-delà les Républiques, le président de la République doit assumer un rôle historique, celui de rassembleur et de guide de la nation. Ce rôle, il l’analyse et l’interprète à partir d’une relecture très personnelle de l’Histoire de la France et des Français… »’P.171) et bien qu’il ne faille pas en tirer des conclusions par trop hâtives. La verticalité à la française a parfois du bon en maintenant une direction et un cadre à la politique générale de la France, en dehors de toute querelle partisane. En clair toujours se situer « au-dessus de la mêlée » afin d’être en mesure de prendre les bonnes décisions « engageantes ». De Gaulle avait déjà pensé cela, il en connaissait les écueils et les revers dans ses moindres recoins. Hervé Gaymard va plus avant quant à lui : « C’est pour cela que cette fameuse notion de « verticalité » ne doit pas être honteuse : elle traduit le lien direct entre la volonté populaire, que de Gaulle appelle souveraineté, et ceux qui gouvernent pour lui donner une traduction effective ». (P.24) Or cette traduction n’est jamais tout à fait évidente, en raison du caractère même de l’interprétation des textes fondateurs avec à la clé souvent des débats inféconds car ils ne traduisent précisément pas la pensée initiale de son promoteur originel. Fait de l’Histoire, ou plus certainement « paresse des intentions ? ». Au même titre qu’une souveraineté réversible (bien que toutefois récalcitrante) mise à mal, dont le filtre est désormais assujetti aux traités Européens et internationaux entre autres. La pyramide décisionnelle s’est complexifiée en moins de cinquante ans au cœur de ramifications planétaires devenues pour le moins obscures et si peu transparentes dans leur utilité fonctionnelle. Et ceci n’est certainement pas un hasard. On songe alors à la toute puissance des GAFA, qu’Hervé Gaymard met à l’index.

Mais encore à son corps défendant comme pour inverser un cheminement paraissant irréversible dans les faits :

« Car la Ve République est, et reste dans son esprit même, un organisme vivant et puissant, qui comprend des garde-fous contre les dérives –celles qui ont conduit comme en 1940 à de véritables effondrements de civilisation. » (P.31)

Difficile cependant de se faire une idée précise de ce que vont être les trente prochaines années tant la planète réserve des surprises qui échappent à tout organe de décision directe, comme en témoigne encore tout récemment la crise sanitaire mondiale du COVID 19, d’ailleurs évoquée dans le présent ouvrage. Ainsi devra ton parler dans le futur « d’intuition politique », comme de Gaulle en son temps l’avait compris ! Plutôt que d’envisager sournoisement et un peu trop facilement un changement de régime, une VIème République mal fagotée que certains politiques prônent à tout va, ceci dit de manière quelque peu irréfléchie et par impuissance de légiférer adroitement. D’ailleurs une grande majorité des Français y est viscéralement hostile. Grand bien nous fasse. Le mal être infortuné n’est jamais qu’un déni souterrain de l’Espoir, plus difficile à mettre en œuvre parce qu’il nécessite une énergie sans faille et une croyance en la nation de tous les instants, mais qui se veut dans le même temps un formidable rempart contre l’ignorance et la débâcle. Un cercle vicieux en somme dans lesquels les partis politiques semblent vouloir s’enfermer et s’enliser au mépris de la volonté des Français. L’abstention en est alors le pire exemple ! Mais le débat reste ouvert non ? Un ouvrage à découvrir absolument.

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Ecrivain, journaliste. Chercheur-associé auprès du Centre d’Etudes Supérieures de la Littérature de Tours.

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