Le Pont

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Les intimes confessions de Maurice Mimoun

L’auteur n’est pas un inconnu du grand public. Il s’agit même d’un habitué des médias. Et pour cause ! Professeur de médecine, Maurice Mimoun dirige le service de chirurgie plastique, reconstructive et esthétique de l’hôpital Saint-Louis à Paris et le Centre des traitements des brûlés. En 2016, il s’est rendu célèbre pour avoir réalisé une première mondiale : une greffe de peau sur un homme brûlé sur la quasi-totalité du corps. Une opération à haut risque, il va sans dire qui s’est traduite par une totale réussite. Chapeau !

Mais l’on oublie cependant trop souvent que l’homme est aussi un écrivain et un romancier de talent, avec cinq ouvrages publiés à ce jour, notamment le bouleversant témoignage dans « La mort peut attendre » (éditions Albin Michel, 2014). Une seconde activité qui n’a rien de subalterne et d’anodin. L’écriture fait partie intégrante de l’Homme. On peut même affirmer qu’elle est une sorte de second souffle dont le personnage en question se nourrit avec passion, comme par logique nécessité.  Vraisemblablement aussi pour combler un manque et une attente plus souterraine. 

On peut imaginer sans grande difficulté le quotidien de ce médecin de grande renommée, les hautes responsabilités qui pèsent sur ses épaules – diriger un service de chirurgie dans un grand hôpital, oblige inévitablement au sang-froid ; l’aptitude à prendre des décisions vitales et parfois urgentes, mais aussi être en mesure de manager sans fléchir, une équipe de soignants hautement qualifiés entièrement dévoués à leurs patients et auxquels  ils redonnent parfois vie avec l’espoir qu’ils reprennent une existence presque normale. Un espoir d’ailleurs que l’homme qui nous occupe porte en lui. On ne choisit pas une telle profession lorsqu’on ignore tout de l’humain, de son corps organique, son enveloppe charnelle, de son mental bien évidemment, tous deux étant naturellement indissociables. Car en effet la victime est quelqu’un qui souffre même en silence avec souvent un traumatisme psychologique important ; elle est considérablement, affaiblie à la merci du monde extérieur. Le médecin lui est son seul rempart au quotidien, avec pour mission, de réparer les dommages et les préjudices causés par un accident.  Reconstruire le corps parfois méconnaissable des grands brûlés, c’est plus qu’un challenge !

Aussi, Maurice Mimoun tout au long de sa carrière a longuement réfléchi à toutes ces questions qui habitent son esprit, le malmènent parfois, en leur donnant un ordre d’entrée qui ne s’apparente ni à la préférence, ni à l’autosatisfaction. Le médecin sait ce qu’il en retourne de laisser transparaitre sa vraie humanité, il n’en a pas le temps. Comment alors transmettre ses émotions et ses doutes, lui qui est d’abord un grand patron ? L’homme doit pouvoir de temps à autre disparaitre de la scène en réinventant son propre temps. Le temps du repos et de la distance nécessaires au discernement. Il se projette alors ailleurs dans le plus grand silence de l’expression, il a besoin de retrouver ses racines : « qui suis-je au juste ? ». L’homme connait aussi la puissance des mots, ils ont pour lui aussi une valeur organique, ils sont vivants, à une autre échelle certes, il n’empêche que le médecin les aime, autant que son scalpel et son bistouri. 

Il n’est donc pas étonnant que dans son dernier ouvrage intitulé fort justement « Fils de », Maurice Mimoun, ait convoqué à un moment donné de son parcours exemplaire, la figure paternelle. Le père géniteur ! Le père modèle ! Le père présent et protecteur ! Un père vraisemblablement idéalisé au cœur de l’absence pourtant, mais par endroits seulement. La sublimation filiale est parfois nécessaire pour comprendre les méandres de la réalité, mais également permettre à l’imaginaire de s’élever. L’enfant, l’adolescent, le jeune adulte ont toujours besoin de se projeter dans le présent et l’avenir. Le père devient alors la figure tutélaire, un repère clé dans l’existence, bien qu’il ait également conscience d’une certaine forme de précarité. Il écrit à son tour : « J’avais peur aussi d’oublier des choses, des anecdotes des rires, des paroles, des gestes !  C’était sûr, j’allais en oublier. Et puis je me suis décidé. J’écrirais un livre inachevé. Inachevé ? L’idée me plaisait. » (P. 12).

L’auteur sait aussi que la vie s’arrête un jour. Il n’y a pas d’immortalité entendue. À moins que ! Et « par quoi commencer ? », sachant que « la sincérité est une escroquerie inconsciente de la réalité. Mais c’est tout ce que je peux offrir. Et puis la réalité je m’en moque. Il faut se résigner : rien n’existe vraiment, mais tout est là. » (P.13).  L’auteur est donc bien conscient de ce qu’il est en train d’entreprendre. « On construit son père. Peu importe ce qu’il est vraiment, çà c’est son affaire, une affaire de lui avec lui-même. » Belle lucidité en vérité qui permet une plus grande liberté de ton, avec en arrière-plan, la sublime expression « tu respecteras ton père et ta mère ». (P.37). Ce respect incidemment nommé vaut aussi bien pour une vénération cachée tout au long de la vie par pudeur vraisemblablement ou par raison. « Mais souviens-toi d’où tu viens ». C’est ce qui importe, car c’est aussi une affaire d’éducation.  Ecrire alors à ce niveau d’interprétation, considère précisément une porte ouverte sur les schèmes – et les schémas complexes – de l’existence et de la filiation.  Mais il ne suffit pas de porter un Nom, « le nom du père ». Il faut s’en rendre digne, le mériter.  Jamais ne décevoir son père ! C’est presque une obligation ! « D’ailleurs mon père, c’est papa. Ce n’est pas donné à tout le monde ». (P.35).

L’affection revient toujours au grand galop. Qu’importe les convenances. « Je dois pouvoir lui dire, papa je t’aime ». Et la filiation continue de préexister dans la réalité, elle continue de livrer ses secrets, » le père de mon père », même si l’on sait, qu’écrire c’est parfois oublier. « Ranger son père dans les souvenirs. Mais puisqu’il revient toujours. ». Et c’est l’une des qualités majeures du présent ouvrage. « Certes comprendre son mal être. » (P.64) Mais pas que. Permettre aussi aux souvenirs de s’ordonner progressivement et méthodologiquement, sans violence aucune. « Ne pas faire de mal à son propre MOI ». Et comme être en mesure d’écrire, après un long cheminement à travers la douce l’obscurité, « tu es le père que j’aurais voulu avoir » (P.70) . Pour le reste, « on verra bien demain… »

« Fils de », 185 pages, 18 euros, Albin Michel.

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Ecrivain, journaliste. Chercheur-associé auprès du Centre d’Etudes Supérieures de la Littérature de Tours.

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